mercredi 14 août 2013
La société et la déficience intellectuelle
Ce n’est pas un handicap comme les autres, il pose des problèmes spécifiques et nous incite à réfléchir sur nous-mêmes et sur la société que nous voulons.
Nous n’avons pas besoin des Juifs, où que ce soit, écrivait Hans Frank, le gouverneur général de la Pologne occupée par les nazis, en décembre 1941. Les conséquences de cette déclaration sont connues. Rien ne peut être comparé à la Shoah, la grande “catastrophe” annoncée dans Isaïe (10, 3), mais on peut en tirer la leçon que lorsqu’une société décrète qu’une catégorie de gens est inutile, ces derniers sont en grand danger. Personne ne sait si on aurait sauvé les juifs en criant haut et fort tout ce qu’on leur devait. Mais on ne peut taire aujourd’hui ce que les personnes déficientes intellectuelles apportent à une société évoluée.
Comment définir simplement la déficience intellectuelle ? Celle-ci entraîne le besoin d’un soutien pour les activités requérant le fonctionnement normal de l’intelligence humaine. Ce n’est pas un handicap comme les autres. Les progrès techniques font espérer que bien des personnes en situation de handicap gagneront en indépendance (les aveugles verront grâce aux rétines artificielles), mais une personne déficiente intellectuelle aura toujours besoin d’un accompagnement humain qu’aucune aide technique ne pourra remplacer.
Que nous apportent donc les personnes déficientes intellectuelles ? Leur contribution à la qualité des soins est évidente. Elles souffrent de problèmes médicaux variés et complexes, or leur anxiété et leur fragilité limitent les examens complémentaires spécialisés. La démarche conduisant au diagnostic reposera donc sur l’entretien attentif et l’examen physique complet. Elles expriment peu la douleur, il faut la dépister. Beaucoup parlent peu ou pas. Ceux qui les soignent doivent donc être techniquement parfaits, généreux et savoir travailler en équipe. Cette excellence profitera à tous. Inversement, le praticien qui se déclarerait incompétent n’inspirerait pas une grande confiance.
Leur apport à la qualité de l’enseignement va de soi. Enseigner à ces personnes aux capacités d’attention limitées, au délai de traitement de l’information plus long nécessite des qualités d’analyse et d’imagination qui ne peuvent que rayonner sur tout établissement scolaire. Ceci est aussi vrai pour le travail, les transports, la restauration, les loisirs ou l’hébergement. Il est des danseurs qui rendent gracieux de jeunes déficients mentaux, des professeurs de karaté qui transmettent avec passion les valeurs de leur art, des éducateurs qui s’occupent nuit et jour de personnes déficientes intellectuelles âgées.
Dans une société où tout va vite et où les relations personnelles directes se font rares, les personnes déficientes intellectuelles obligent à écouter, à regarder et à toucher l’autre. Elles nous ancrent dans le domaine du réel. Elles représentent éminemment l’altérité. S’ouvrir à la personne déficiente intellectuelle protège contre toute pensée totalitaire, c’est choisir un modèle de société bienveillant, c’est préférer “la cité de l’amour de l’autre jusqu’au mépris de soi” à “la cité de l’amour de soi jusqu’au mépris de l’autre”.
Les personnes déficientes intellectuelles nous aident à mieux nous connaître : qu’est-ce que l’intelligence humaine ? qu’est-ce que la sottise ? qu’est-ce qui fait le bonheur ? Elles nous interrogent sur bien des points du droit, de la philosophie, de la théologie : que vaut le témoignage d’une personne déficiente intellectuelle ? son consentement peut-il être libre ? comment évaluer sa responsabilité ? que peut-elle percevoir des vérités de la religion ? quelle est la ferveur de sa prière ? quel sera son visage dans la vie éternelle ?
Enfin, les personnes déficientes intellectuelles sont un appel permanent à l’humilité : lequel d’entre nous peut affirmer qu’il est beau, fort et intelligent parce qu’il l’a mérité ? Nous ne sommes responsables que de nos choix. La Bible compare le riche à un chameau cherchant à passer par le trou d’une aiguille. Il ne s’agit pas seulement d’argent, cela vise aussi la suffisance que procure tout sentiment de puissance, y compris celui qu’on tire d’une intelligence brillante.
La personne déficiente intellectuelle éprouve au quotidien une des plus grandes pauvretés qui soient : ne pas pouvoir comprendre autant et aussi vite que les autres. Mais pour la société qui se met à son service, elle constitue la source d’une grande richesse.
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