samedi 16 novembre 2013
Le piège de l'argent
Et nous voilà repartis. Il n’y a pas longtemps, les responsables européens déclaraient que le Vieux Continent avait opéré un changement de cap, que la confiance des marchés était de retour et que la croissance repartait. Mais il existe aujourd’hui un nouveau sujet d’inquiétude alors que le spectre de la déflation menace l’Europe. Et le débat à propos de la réponse à apporter tourne sérieusement au vinaigre.
Un peu d’histoire : la Banque Centrale Européenne, ou BCE, l’équivalent européen de la Réserve Fédérale, est censée garder l’inflation à un niveau proche de 2%. Pourquoi pas zéro ? Plusieurs raisons à cela mais le point le plus important, aujourd’hui, c’est qu’en Europe, un taux général d’inflation trop proche de zéro se traduirait par une véritable déflation dans les économies troublées des nations du sud de l’Europe. Et une déflation a des effets secondaires économiques néfastes, notamment dans des pays déjà handicapés par une forte dette.
Que l’inflation européenne commence à baisser bien en-deçà de sa cible est donc un vrai sujet d’inquiétude ; l’année passée, les prix à la consommation ont augmenté de seulement 0,7 pourcent alors que l’indice de référence qui exclut les prix fluctuants de l’alimentation et de l’énergie n’a augmenté que de 0,8 pourcent.
Il faut faire quelque chose, et la semaine dernière, la BCE a coupé dans les taux d’intérêt. Au vu des décisions politiques, cela a le mérite d’être à la fois totalement approprié et totalement inapproprié. L’économie de l’Europe a clairement besoin d’un coup de fouet, mais ce qu’a fait la BCE ne fera sûrement, au mieux, qu’une toute petite différence. Toutefois, c’était bien un pas dans la bonne direction.
Pourtant, cela a déclenché une véritable controverse, à la fois au sein même de la BCE comme en dehors. Et la controverse a pris une forme inquiétante, du moins pour quiconque se souvient de la terrible histoire de l’Europe. Car les arguments à propos de la politique monétaire européenne ne sont pas simplement un débat d’idées ; ils semblent être également, de plus en plus, une bataille de nations.
Par exemple, qui a voté contre la baisse des taux ? Les deux membres allemands du comité directeur de la BCE, rejoints par les dirigeants des banques centrales néerlandaises et autrichiennes. Qui, hors de la BCE, a été le critique le plus sévère de cette décision ? Les économistes allemands, qui ont pris soin de ne pas simplement attaquer la substance de la décision de la banque, mais qui ont mis l’accent sur la nationalité du président de la banque, Mario Draghi, qui est italien. L’influent économiste allemand Hans-Werner Sinn a déclaré que Draghi ne faisait que donner à l’Italie un accès à des emprunts à faibles coûts. L’économiste qui dirige l’hebdomadaire WirtschaftsWoche a estimé que la baisse des taux était "un diktat émanant d’une nouvelle Banca d’Italia basée à Francfort".
De telles insinuations sont extrêmement injustes envers Draghi, dont les efforts pour contenir la crise de l’euro ne sont rien moins qu’héroïques. J’irais jusqu’à dire que l’euro se serait probablement écroulé en 2011 ou 2012 sans lui. Mais peu importe les personnalités. Ce qui est effrayant là, c’est la façon dont cela se transforme en un combat Teutons contre Latins, avec l’euro – qui était censé rapprocher l’Europe – qui, au contraire, les déchire.
Que se passe-t-il ?
Une partie de la réponse tient aux stéréotypes nationaux : le peuple allemand est sans cesse vigilant au sujet d’une perspective qui voudrait que ces pays paresseux du sud de l’Europe vont s’en sortir grâce à son argent durement gagné. Mais il y a également un vrai problème. L'Allemagne déteste purement et simplement l’inflation mais si la BCE réussit à faire en sorte que l’inflation européenne moyenne remonte autour de 2 pourcent, cela amènera une inflation en Allemagne – qui est en plein essor alors même que d’autres pays vivent des niveaux de souffrance liés au chômage, dignes de la Grande Dépression – plus haute de façon significative que son niveau actuel, peut-être aux environs de 3 pourcent ou plus.
Cela peut sembler une mauvaise chose, mais c’est ainsi que l’euro est censé fonctionner. En fait, c’est ainsi qu’il doit fonctionner. Si l’on doit partager une monnaie avec d’autres pays, cela arrive que l’on connaisse une inflation au-dessus de la moyenne. Dans les années qui ont précédé la crise financière mondiale, l’Allemagne connaissait une faible inflation alors que des pays comme l’Espagne avaient une inflation relativement élevée. Aujourd’hui, les règles du jeu exigent que les rôles soient inversés et la question est de savoir si l’Allemagne est prête à accepter ces règles. Et la réponse à cette question n’est pas claire.
Le plus triste c’est que, comme je l’ai dit, l’euro était censé rapprocher l’Europe, à la fois de façon réelle et symbolique. Il était censé favoriser des liens économiques plus serrés, tout en forgeant un sentiment d’identité partagée. Ce que l’on a, à la place, c’est un climat de peur et de mépris de la part à la fois des créditeurs et des débiteurs. Et l’on n’aperçoit toujours pas le bout du tunnel.
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