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lundi 18 novembre 2013

Le "black", exil fiscal du pauvre

 Le "black", exil fiscal du pauvre


Les heures de travail à domicile déclarées chutent de plus de 5 % à la mi-2013. Attention aux dégâts !


Il y a plusieurs façons de s'exiler face à un choc fiscal comme celui qui étourdit la France - plus de 60 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires entre 2011 et 2013. Les contribuables plus mobiles franchissent les frontières politiques du pays pour devenir des exilés fiscaux, profitant des libéralités consenties aux "renégats" par les pays voisins de la France. Il n'y a pas, aujourd'hui, de statistiques significatives de cet exode, mais des symptômes préoccupants : hausse du nombre d'inscriptions dans les écoles françaises à l'étranger, activité en hausse des cabinets de conseil spécialisés...
Il ne s'agit toutefois que des plus fortunés, qui ont les moyens de traverser la Manche ou le Quiévrain pour s'installer au Royaume-Uniet en Belgique. Les autres, beaucoup plus nombreux mais moins alertes, car ils n'ont ni capital ni qualification internationalement reconnue, franchissent une autre frontière, celle qui sépare l'économie officielle de l'économie informelle : l'exil fiscal du pauvre, c'est le "black", liasses de biftons et travail au noir. Il n'y a pas davantage de chiffres pour donner la mesure précise du phénomène, mais apparaissent, là aussi, d'éloquents signaux. La chute du nombre d'heures de travail à domicile déclarées, par exemple (gardes d'enfants, ménage, jardinage, etc.), qui a diminué de plus de 5 % à la mi-2013, avec cinq trimestres successifs de recul. Décrue concomitante à une forte augmentation des charges... Très probablement, une partie de ces heures disparues sont effectuées aujourd'hui sans être déclarées. Les nouvelles règles fiscales ont "noirci" de l'activité économique, elles ont fait passer dans la clandestinité une partie du travail réalisé.
Autres signes, l'explosion des saisies d'argent liquide par les douanes. Leur montant a été multiplié par 6, d'une année sur l'autre, au premier trimestre 2013. Ou bien le développement des systèmes d'échanges locaux, avec lesquels les habitants d'un quartier troquent biens ou services sans passer par un acte marchand classique. Ou encore l'essor des monnaies parallèles, qui se substituent à l'euro pour les menues transactions.
C'est toute l'économie officielle qui se rétracte pour éviter la taxation. La croissance zéro dans laquelle se débat la France depuis la fin de 2011 peut d'ailleurs être interprétée ainsi : c'est le PIB officiel de la France qui stagne, mais pas forcément le PIB réel. Comme par hasard, les richesses dûment répertoriées - et taxées - ont cessé de croître au début du matraquage fiscal, à l'époque de François Fillon et Nicolas Sarkozy. Nous avons l'impression que notre niveau de vie décroît, mais peut-être la photographie officielle n'est-elle pas tout à fait fiable.
Cette observation vaut pour toute l'Europe en crise. En Grèce, la récession de 25 % est celle du PIB statistique, pas du PIB réel, comme en témoigne l'incroyable essor de l'utilisation du cash dans les restaurants et les hôtels. En Italie ou en Espagne, la contraction officielle a été plus faible, mais les chiffres sont tout aussi sujets à caution. Dans ces trois pays, l'augmentation de la pression fiscale a été considérable, ce qui a conduit les agents économiques à "démarchandiser" la création de richesses. En clair, à développer l'économie au noir, qui a joué le rôle d'un amortisseur anticrise, puisqu'elle a permis à de nombreux Européens de subvenir à leurs besoins ou de compléter leurs revenus dans cette période de disette. Si l'Europe du Sud n'a pas explosé au plan politique ou social, c'est parce que l'exil fiscal intérieur a permis de survivre.
Ce phénomène signe évidemment l'échec des politiques d'austérité par l'impôt. Comme le PIB officiel se rétracte, les recettes fiscales ne sont pas au rendez-vous, malgré les augmentations de prélèvements votées à jet continu. Le déficit ne parvient donc pas à se réduire. C'est ce que la France va expérimenter en 2013, où le déficit public approchera 4,5 % du PIB, contre 3 % prévus il y a encore quelques mois.
La contraction du PIB fait aussi mécaniquement progresser la valeur relative de la dette. L'endettement étant en effet évalué en points de PIB, si la valeur du point diminue, le nombre de points nécessaires augmente. Le poids relatif de la dette progresse donc, et avec lui celui du remboursement. C'est le piège de la debt deflation, un mal diagnostiqué dans les années 30 par l'économiste américain Irving Fisher.
Ce mouvement de rétraction du PIB officiel nous emmène à rebours de notre histoire économique. Le développement, c'est la "marchandisation" incessante de l'informel pour le faire entrer dans le champ de la lumière - celui de la statistique et de la fiscalité. L'État-providence est l'exemple de ce développement qui a fait gonfler le PIB après la guerre. Auparavant, les parents habitaient chez leurs enfants, qui subvenaient à leurs besoins jusqu'à leur mort. Ces transferts d'une génération à l'autre n'apparaissaient pas dans les comptes nationaux, il s'agissait d'une retraite informelle. Aujourd'hui, tout cela est comptabilisé, avec le jeu des cotisations et de la redistribution. Fondamentalement, rien n'a changé. Mais le PIB a progressé, car il enregistre ce qui ne l'était pas auparavant.
La crise de l'euro a donc déclenché un mouvement rétrograde, comme ces planètes qui vont momentanément à rebours sur leur orbite. Le plus singulier, c'est que dans le même temps les pays émergents, eux, "marchandisent" leur PIB. C'est même ainsi que s'explique leur forte croissance. Nous allons finir par les croiser sur la route, à force de reculer alors qu'ils avancent.

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