vendredi 5 avril 2013
Cas Cahuzac ou scandale d’État ?
Cas Cahuzac ou scandale d’État ?
Estomaqués. Stupéfaits. Incrédules. Les députés socialistes n’arrivent pas à croire que Jérôme Cahuzac leur ait menti, lorsqu’il a nié, à l’Assemblée nationale, détenir un compte à l’étranger. Naïveté des représentants du peuple ! Leurs électeurs, en voyant le discours du ministre du Budget retransmis à la télévision, la percevaient, eux, la roublardise du personnage, et n’écartaient pas a priori la possibilité qu’il mente : ils en ont vu d’autres… Les bancs de l’Assemblée sont-ils remplis d’un public facile, à la merci du premier saltimbanque venu ? Un chirurgien esthétique est-il plus habile qu’un autre à tromper son monde ou les députés PS jouent-ils les saintes nitouches ?
Deux réactions tranchent, parmi ce concert effarouché. Celle de Gérard Filoche, membre du bureau politique du PS qui, sur LCI, a piqué une colère, les larmes aux yeux : l’aplomb de Cahuzac à démentir l’existence d’un compte, l’hypocrisie de ce chasseur de fraudes, la rapacité de ce boucleur de budget sur le dos des Français qui peinent à boucler leurs mois, Gérard Filoche ne digère pas l’accumulation. Croyons-le sincère. Mais naïf autant, lorsqu’il ajoute : « le parti socialiste, c’est un parti sain ». Un parti pourri au Nord et au Sud, oui, par les affaires Kucheida, Guerini, Andrieux… Est-ce que ces affaires comptent pour du beurre (et l’argent du beurre) parce qu’elles ont enrichi des réseaux et le parti lui-même, alors que dans « le cas Cahuzac » l’enrichissement serait personnel ? On apprend maintenant que le nom de Jean-Jacques Augier, propriétaire de Têtu et trésorier de François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012, apparaît dans des documents concernant des sociétés localisées aux îles Caïmans… Foin des marigots et vive les paradis.
L’autre réaction indignée est celle d’Audrey Pulvar, sur D8. « Tous les gens de ma génération qui ont entre quarante et cinquante ans, on a l’impression d’avoir été cocufiés par la gauche depuis trente ans… Ils n’ont cessé de nous décevoir, de nous cocufier, de nous mentir… » Aveuglée par ses lunettes à 12 000 euros ? Son entêtement à être bernée sur trois décennies est admirable. L’aveu de la journaliste pasionaria, séparée d’Arnaud Montebourg depuis quelques mois, a glacé sur place ses consœurs.
Cinéma belge et vérité suisse
« Je trouve un peu dérisoire que, pour des raisons fiscales, cet homme décide de s’exiler si loin à l’Est. La nationalité est un bien précieux, un bien qui nous est commun. » Ces propos de Jérôme Cahuzac datent de début décembre 2012 et concernaient Gérard Depardieu. En effet, le ministre du Budget devait trouver bien dérisoire de s’exiler alors qu’il est possible de vivre en France tout en ayant un compte caché à l’étranger ! Et de donner une leçon de patriotisme fiscal, et de trouver « infiniment regrettable » qu’on « s’exonère » de ce patriotisme… Il avait été encore plus lyrique deux semaines plus tard devant le Sénat, définissant les « obligations fiscales » que les personnes riches « ont à l’égard de leur pays dans lequel elles sont nées, elles ont grandi, elles ont été éduquées, formées, le plus souvent où elles ont rencontré la prospérité sinon la fortune ».
Une prospérité de bon aloi en ce qui concerne Depardieu, acteur populaire à la carrière considérable. Une prospérité plus discrète, s’agissant de Cahuzac, en lien vraisemblablement avec son activité au ministère de la Santé sous Evin et les laboratoires pharmaceutiques. Une prospérité de coulisses. Quand Depardieu avait annoncé son départ pour la Belgique, notre ministre du Budget avait déclaré « se réjouir pour le cinéma belge »… Une ironie à double fond. Les mois suivants, notre Cahuzac a joué son petit cinéma à lui, style le cave se rebiffe. Le public spécialisé de la classe politique avait trouvé cela crédible. Jusqu’à ce que l’ancien ministre avoue. Mais n’est-ce pas cela qui cloue les députés PS sur leurs bancs, qu’un socialiste avoue !
Lâcher de Cahuzac
Pour sa « République exemplaire », Hollande avait choisi des gens propres sur eux. Jérôme Cahuzac avait été condamné en 2007 pour avoir employé au noir dans sa clinique une Philippine sans papier – mais condamné sans peine ni inscription au casier judiciaire, pas de quoi gâcher une carrière politique ni perturber les copinages. Ce temps est passé. Ayrault, tout gris devant la caméra, a lâché Cahuzac en direct et Hollande, à qui on avait greffé un petit ressort pour l’occasion, l’a lâché en différé.
Le ministre avait pourtant tant d’amis, au moment de démissionner, il y a deux semaines. La passation de pouvoir s’était déroulée dans l’émotion la plus complète. Son successeur, Bernard Cazeneuve déclarait, grandiloquent et lèche-derche : « On ne remplace pas Jérôme Cahuzac, on lui succède modestement. » Auparavant, le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici, avait salué « la qualité exceptionnelle du travail effectué par Jérôme dans une maison tellement cruciale pour l’Etat et pour la France ». Un Moscovici désormais sur la sellette : que savait-il, en tant que ministre de l’Economie et des Finances, sur la situation bancaire de son collègue au Budget ? L’a-t-il couvert ?
Dans un communiqué, Moscovici « rejette fermement toutes allégations de dissimulation et de complaisance dans la gestion de ce dossier, qui a au contraire fait l’objet d’un traitement scrupuleux et rigoureux par l’administration fiscale, avec la volonté d’établir la vérité », un « travail diligent, rigoureux et volontaire accompli par l’administration fiscale ». L’administration efficace sait se montrer plus efficace.
Tout est là, Hollande, Ayrault, Moscovici ne savaient rien ? Ils n’ont pas enquêté, ont été suffisamment amateurs pour ne pas se poser de question ? Ils ont enquêté et n’ont rien trouvé, autre sorte d’amateurisme ? Ils ont enquêté et ont dissimulé la vérité ? Les voix sont nombreuses, du côté de l’opposition, à exiger des éclaircissements et la création d’une commission d’enquête. Marine Le Pen demande la démission du gouvernement et la dissolution de l’Assemblée, suivie de près par Jean-François Copé.
L’affaire Cahuzac fera-t-elle tomber le gouvernement dans un premier temps, puis d’autres têtes ? Ce n’est pas qu’une affaire de fraude fiscale, l’origine des fonds demande à être vérifiée : une collusion d’intérêts entre les activités politiques et professionnelles de Cahuzac est a priori à l’origine de ces 600 000 euros, partis depuis de Suisse dormir à Singapour. Une version que certains experts estiment faussée : il y aurait plusieurs comptes, et beaucoup plus que 600 000 euros, une somme trop faible pour justifier des comptes cachés… Aussi l’affaire Cahuzac pourrait-elle bien dépasser le cas personnel du Monsieur Traque-fiscale.
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