TOUT EST DIT

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vendredi 3 février 2012

Les naturalisations en panne


Lors de son voyage en Guyane, le président de la République était revenu sur son opposition au vote des étrangers non-membres de l'Union européenne aux élections locales. Il n'est pas le seul à tenir cet argument : si les étrangers résidant en France depuis longtemps veulent voter, ils n'ont qu'à devenir français. Mais encore faut-il le pouvoir. En 2011, le chiffre des naturalisations a chuté de 30 % en un an, passant de 94 500 à 66 000. Une réduction drastique, à inscrire dans le contexte politique plus global de maîtrise de l'immigration. « Avant, sur 70 000 demandes, nous en acceptions 70 %. Désormais, nous en rejetons 60 % », confiait, en novembre dernier, un responsable syndical de la sous-direction d'accès à la nationalité française, cité par Le Monde.

Après les ratés du processus d'intégration à la française, voici donc la panne de la volonté de « faire des Français » autrement que de « sang ». C'était pourtant l'une des richesses de la tradition de notre pays (sauf dans ses heures noires). N'aurions-nous plus envie de partager notre « modèle » ou nos valeurs avec d'autres, jusqu'à les inviter à devenir nos compatriotes dès lors qu'ils vivent sur le sol national ? Rongée par l'inquiétude, la France se replie sur elle-même et ferme les écoutilles de son navire. Les symptômes se multiplient. Ainsi, il a fallu bien des protestations pour rectifier, un peu, une directive qui visait à réduire le nombre des étudiants étrangers diplômés en France autorisés à y travailler ensuite.

Raison garder

Le livre que vient de publier Esther Benbassa, sénatrice Europe Écologie-Les Verts du Val-de-Marne, De l'impossibilité de devenir français, vient à point nommé. L'auteure, née juive en Turquie, a choisi de vivre en France où elle a commencé par enseigner le français, avant de mener une brillante carrière universitaire. Elle sait ce que veut dire d'être régulièrement renvoyé à son « étrangeté ».

Car l'étranger, ce n'est pas aujourd'hui seulement celui qui n'a pas la nationalité française mais, de plus en plus souvent, celui qui n'est pas, comme elle l'écrit, de race blanche et de culture occidentale. Aussi a-t-elle entrepris de démonter les arguments de ceux qui voient dans l'étranger l'ennemi, en particulier dans la personne des arabo-musulmans. « Y a-t-il quelque moyen de faire accéder tous ces Français-là, ceux qui sont de fait considérés comme des citoyens de seconde zone, à une citoyenneté pleine et entière ? », demande-t-elle.

Ce livre de passion prêche, arguments à l'appui, pour la raison. La fermeture n'est pas seulement portée par le discours de l'extrême droite. On le retrouve aussi à gauche chez des partisans d'une laïcité républicaine particulièrement fermée. Mais elle est lourde de menace, car il est dangereux de rejeter dans la marginalité toute une partie de la population qui ne demande en réalité qu'à s'intégrer. Esther Benbassa craint que ce genre de politique ne pousse au désespoir ceux qui sont empêchés de trouver leur place.

Si la turbulente sénatrice du Val-de-Marne a raison, la réduction du nombre des naturalisations devrait nous alarmer : c'est un signal décourageant supplémentaire adressé à ceux qui veulent encore croire qu'il est possible d'adhérer à ce qui est ¯ ce qui fut ? ¯ l'idéal d'universalité français. À semer ce mauvais vent, nous nous exposons à récolter la tempête.

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