Dans Libération, le député PS Jean-Christophe
Cambadélis a prôné "un autre chemin pour une autre politique en Europe",
c'est-à-dire, dans sa langue de bois, le refus de la rigueur au profit
d'un renforcement de l'interventionnisme et de l'emprise étatique sur
l'économie. Est-ce bien raisonnable ?
Monsieur le Député, j'espère que vous ne m'écouterez pas. Vous
semblez sûr de vous, et, à vous écouter, les réponses à la crise sont
évidentes. Je vous donne en toute amitié mon point de vue pour
contribuer à vos brillantes réflexions publiées hier dans les colonnes de Libération ; mais sachez, monsieur Cambadélis, que je compte sur vous.
"Il ne s’agit pas de contester la nécessité de stabiliser la dette. Nul n’ignore la facilité qui conduirait à reporter son coût sur les générations futures. Il s’agit d’opposer une alternative politique aux conservateurs pour qui le renforcement de la discipline fiscale à l’échelle nationale et la mise en place, dans chaque pays, d’une politique d’austérité tiennent lieu de seul viatique au marasme européen. Rétablir la confiance par une baisse du déficit et une réduction des dépenses, en clair rétrécir l’État, voilà l’objectif des droites."Pour peu qu'on puisse considérer que je fasse partie des générations futures, vous avez raison : je ne veux pas payer la dette accumulée par l’État français, et d'ailleurs je ne la paierai pas, c'est promis.
Je ne suis ni conservateur, ni de droite, mais j'aimerais comprendre, d'un point de vue logique, comment vous comptez réduire les déficits, sans même parler de la dette. L’État a des ressources, qu'il prélève aux entreprises et aux individus, et des dépenses. Le déficit s'explique assez simplement : l’État dépense plus qu'il n'a de ressources. L'augmentation des impôts, qui va peser sur l'économie et fait déjà bondir les entrepreneurs, ne suffira pas à équilibrer le budget, et j'ai du mal à concevoir comment vous pourriez décemment proposer des augmentations plus importantes. Si vous ne voulez pas réduire les dépenses, le déficit demeurera, la dette continuera d'augmenter ; et avec elle, les intérêts que l’État doit rembourser, année après année, qui s'ajouteront aux dépenses. Vous semblez avoir une solution meilleure que la réduction des dépenses, à vous de jouer.
"[…] à l’examen de l’histoire économique, la succession des plans de rigueur n’a jamais fait un printemps de croissance. Faut-il rappeler que c’est la récession qui a provoqué le déficit et non l’inverse ? Est-il besoin de souligner que si le marché joue bien un rôle majeur dans les progrès de productivité, le niveau de vie n’aurait jamais pu augmenter sans État redistributif et sans État protecteur ? Le New Deal n’a-t-il pas sorti les USA de la crise de 1929 ? Qui, sinon le système financier, défaillant, a fait appel en 2008 à l’État pour éviter sa faillite, une panique des épargnants et l’effondrement du monde industriel ? Comment l’État peut-il stimuler l’économie s’il reste concentré sur sa dette ? Comment réduire les déficits quand la demande faiblit et que le chômage augmente au risque d’un accroissement des inégalités ?"Ce n'est peut-être pas le déficit qui a provoqué la récession, mais s'il faut rappeler quelque chose, c'est que les déficits ont commencé alors que la France était en croissance et est devenu une constante dans les budgets de l’État français depuis plus de 30 ans.
S'il y a quelque chose à souligner, c'est que l’État redistributif et l’État protecteur ont un prix, ne sont pas viables à long terme et n'ont certainement pas contribué à créer plus de richesse dans notre pays, ni ailleurs.
Le New Deal n'a pas sorti les USA de la crise de 1929, il les y a maintenu. Quant au soutien de l’État à l'économie, il repose sur une erreur fondamentale, que j'aimerais vous expliquer.
Le marché libre permet de corriger les déséquilibres au prix de quelques ajustements. Des entreprises font faillite, leurs actionnaires perdent leur argent, puis, si des entrepreneurs estiment que l'affaire peut être rentable, d'autres entreprises se créent. Au lieu de cela, l’État, quand il choisit de "sauver" les entreprises qui menacent de faire faillite en donnant de l'argent à leurs clients pour acheter leurs produits, en leur offrant directement de l'argent ou en les arrosant de billets tout frais, fait payer les pertes aux contribuables. Si cela ne vous paraît pas choquant, c'est peut-être qu'il faut un exemple simple. Vous avez un peu d'argent et souhaitez investir. Vous analysez la situation et les perspectives de plusieurs entreprises et décidez d'investir dans l'une d'elle. Vous prenez un risque, en espérant réaliser un profit, et ça marche. L'une des entreprises dans lesquelles vous avez décidé, à raison, de ne pas investir, menace de faire faillite, et l’État décide de la sauver, en vous mettant à contribution. Vous qui aviez pris les bonnes décisions vous retrouvez à payer pour ceux qui n'ont pas fait preuve d'autant de lucidité, alors que l’État décide de récompenser par son soutien une entreprise qui n'a pas eu autant de lucidité que ses concurrents. Le rôle de l’État est-il de récompenser les mauvaises décisions ? Face à une telle situation, on en vient presque à espérer qu'il se contente de les prendre.
Vous avez sans doute voulu intriguer le lecteur avec des questions aussi grotesques, pour mieux le préparer à vos lumineuses réponses : je vous fais confiance, Monsieur, pour stimuler l'économie, réduire les déficits, faire grimper la demande, plonger le chômage, réduire les inégalités. Au passage, si vous pouviez aussi faire quelque chose pour la paix dans le monde…
"Comment réduire les déficits publics sans compromettre les perspectives de croissance et d’emploi ?"La réponse à cette question est assez simple : la réduction des déficits, et à plus forte raison la réduction de la taille de l’État, est le seul moyen de ne pas compromettre les perspectives de croissance et d'emploi. Quelle que soit la cible de ces réductions, elles feront des mécontents, les uns privés de subventions, les autres de cadeaux fiscaux ou de privilèges, mais votre courage et votre détermination, au service de votre clairvoyance, parviendront, je n'en doute pas, à nous sauver de la situation délétère dans laquelle notre aveuglement à tous nous a plongés.
En revanche, prix Nobel ou pas, je vous donne mon avis : au prix de quelques ajustements à court terme, le marché corrigera les déséquilibres actuels et permettra le retour d'une croissance durable, par opposition à une longue stagnation ou récession si l’État repousse les ajustements et fait financer son action par un poids toujours plus important sur l'économie. L'austérité toute relative qui permettrait de revenir à l'équilibre est peut-être à envisager. Mais là encore, vous devez avoir une meilleure idée : je vous suivrai aveuglément, soyez-en sûr.
"Les enjeux deviennent partout les mêmes dans l’Union : chômage de masse, sous-emploi des jeunes et des seniors, dualisme du marché du travail entre emplois stables et précaires, modulation du temps de travail, sécurisation des parcours professionnels, modes de consultation et de négociation avec les salariés et leurs représentants. Un agenda du redressement a été arrêté par le président de la République. Ne revient-il pas aux dirigeants européens et aux forces politiques de l’Union de définir, avec la Confédération européenne des syndicats, un agenda social européen ? Le Parti socialiste doit s’emparer de ces sujets. Peut-on attendre que les faits viennent contredire les objectifs ? N’est-il pas temps de travailler avec les sociaux-démocrates européens à un pacte de croissance continental ?"On ne peut pas attendre que les faits viennent contredire vos objectifs, même s'ils contredisent déjà certaines des théories que vous mentionnez – sans doute pour mieux nous impressionner par la suite avec la force de vos propositions.
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