Le magazine satirique Titanic sort ce 28 septembre dans les kiosques avec une nouvelle Une. Ladite couverture montre [l’ex-première dame d’Allemagne] Bettina Wulff, menacée ou protégée, selon la façon dont vous voyez la chose – on préfère ne pas s’avancer – par un combattant islamiste armé. Un photomontage puéril qui témoigne de la posture floue et timorée du journal. Y est-il question de Bettina Wulff et de ses velléités d’ores et déjà copieusement moquées en Allemagne de faire parler d’elle dans les médias ? C’est un sujet qui n’en est plus un depuis longtemps, et c’est là un des autres problèmes de Titanic : le journal nous ressert sans cesse les mêmes plats réchauffés. A moins que ce ne soit une nouvelle tentative d’une poignée de journalistes portés sur la plaisanterie de jouer avec les nerfs des musulmans pour savoir s’ils sont bien tel qu’on les imagine : s’introduisant munis d’une ceinture d’explosifs dans les rédactions des journaux satiriques de France et d’Allemagne et apportant ainsi aux amuseurs la confirmation de l’impact de leur humour de carabin.
Voyant que quelques milliers de personnes se sont déchaînées contre le film L’innocence des Musulmans en Egypte, en Syrie et en Iran, des responsables politiques allemands se sont émus du "coup" annoncé par Titanic. Guido Westerwelle, le ministre des Affaires étrangères, a ainsi déclaré qu’il fallait se garder de jeter de l’huile sur le feu.
Pendant ce temps, la responsable politique française Christine Boutin a dit vouloir porter plainte contre le journal Charlie Hebdo, jugeant que les caricatures de Mahomet qui y ont été publiées remplissent les critères de l’incitation à la haine raciale. Et [l’euro-député Vert] Daniel Cohn-Bendit est sorti de ses gonds à la télévision, traitant les dirigeants de Charlie Hebdo de "cons" et de "masos" qui se complaisent dans leurs propres craintes. Bon.

Plumes contre cimeterres

Rarement la satire aura autant fait parler d’elle dans les médias que ces jours-ci. Rarement l’agitation autour des dessins et des couvertures satiriques aura été si forte en Allemagne, et plus encore en France. Rarement on aura vu se manifester autant de partisans et d’ennemis de la satire, à coups de mises en demeure et de mises en garde parfois effarantes – [le célèbre journaliste d’investigation allemand] Günter Wallraff dit vouloir que les médias européens soient inondés de caricatures critiques de l’Islam afin que la "démonstration de liberté" – il le dit très sérieusement – ne soit pas seulement l’affaire d’une poignée d’amoureux de la liberté.
Cette audace vibrante est en réalité la colère ardente de néo-bourgeois excités qui pensent que l’ordre libéral peut être renversé par des islamistes fous et que "l’art sacré" est un moyen de sauvegarder notre ouverture d’esprit. Des plumes acérées face aux cimeterres.
Il est simplement dommage de voir que, à une époque où l’on fait tant de foin à son sujet, la satire est mauvaise comme rarement elle l’a été. Le problème ne vient même pas de la piètre facture des dessins de Charb dans Charlie Hebdo. Ce qui est triste, c’est l’indigence intellectuelle de toutes ces images, ces montages, ces plaisanteries, qui ne visent qu’à faire sensation. Il n’y a rien de sensationnel là-dedans, sinon que ces gens s’aventurent sur un terrain sensible inédit, dont l’attrait tient au fait qu’il est impossible de savoir à l’avance ce qui se passera – encaisseront-ils le choc ou mettront-ils le feu ? S’en prendre aux politiques ne sert à rien et reste donc l’apanage d’amuseurs télévisuels d’arrière-garde qui ne se rendent pas compte que leur discours est plus éventé encore que celui des politiques.
Le seul moyen pour un satiriste de faire recette aujourd’hui est de s’attaquer à la pudeur religieuse – c’est le succès assuré : le Pape va en justice, le Conseil du culte musulman dénonce les atteintes portées aux sentiments religieux de ses fidèles, et les satiristes répliquent une nouvelle fois dans la veine du patriotisme constitutionnel : un pays libre ne doit pas interdire la satire. Leo Fischer, le rédacteur en chef de Titanic, déclare : "Les musulmans doivent tolérer les plaisanteries les concernant". C’est aussi vrai que barbant. Et, selon toute vraisemblance, ils les tolèreront, de même que nous devrons nous accommoder du fait que la satire politique allemande ne nous donnera guère matière à réflexion dans les années à venir, ainsi qu’elle nous y a déjà habitués.