L’élève Peillon a bien travaillé, mais peut encore mieux faire
J’estime beaucoup Vincent Peillon. C’est un honnête homme, cultivé,
subtil et nuancé, comme l’était d’ailleurs son pénultième prédécesseur
de droite Xavier Darcos. Il rêve d’être le continuateur du plus éminent
bâtisseur de l’école publique française, Ferdinand Buisson, dont il fut
récemment le biographe1.
Ce n’est pas le plus mauvais choix, car ce protestant avait poussé
aussi loin que possible le projet de donner à tous les jeunes Français
un socle de valeurs communes, tout en respectant les choix familiaux,
idéologiques ou religieux.
Les idées de Ferdinand Buisson sont celles qui se rapprochent le plus,
dans un contexte français, de la « common decency » de George Orwell : «
Pour qu’une éducation morale nous paraisse suffisante, il faut qu’elle
crée en chaque individu une sorte de force intérieure régissant non
seulement les actes, mais les pensées, les sentiments, les intentions,
toute la conduite, toute la direction de la vie », écrivait Buisson dans son Dictionnaire de pédagogie paru en 1911.
A cette époque, Buisson n’avait pas besoin de préciser que cette
éducation morale incluait la transmission, par les enseignants d’un
amour pour la patrie qui ne se réduise pas au chauvinisme et à la
détestation de l’autre. Les « hussards noirs de la République »
savaient à merveille raconter à leurs élèves le roman national en
s’appuyant sur Jules Michelet et Victor Hugo. Il ne s’agissait pas
seulement pour eux de « faire société » comme on dit
stupidement aujourd’hui, mais de construire chaque jour la Nation avec
des enfants qui ne l’ont pas reçue avec leur ADN. Le problème, à la
veille de la Grande Guerre, était plutôt de mettre en garde les
enseignants contre les dérives d’un nationalisme agressif, tel celui qui
s’était manifesté lors de l’affaire Dreyfus, ou dans le revanchisme
antiboche exacerbé.
Les écoliers de la « communale » connaissaient les paroles de La Marseillaise dès le CP, et même celles du Chant du départ.
Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Le patriotisme,
même le plus tempéré, est tourné en dérision par une caste de beaux
esprits « déconstructeurs », historiens, journalistes et publicistes
pour qui l’Histoire de France ne peut s’écrire que sur le mode du mea
culpa. L’éducation au patriotisme, qui va de soi dans nombre de
démocraties proches de chez nous (voyez la Suisse) doit donc d’urgence
s’inscrire dans cette éducation morale que Peillon se propose de
restaurer. Le patriotisme affiché n’exclut pas forcément (voyez les
Etats-Unis). Au contraire, il est une proposition d’inclusion à tous
ceux qui viennent d’ailleurs, dans la grande tradition française de la
Nation conçu comme un plébiscite quotidien de tous ceux, quelle que soit
leur origine, ayant choisi la France comme lieu de résidence. Il ne
vous demande pas de choisir entre papa et maman, mais postule que votre
cœur est assez grand pour aimer à la fois votre patrie et votre
province, ou le pays lointain de vos ancêtres.
On pourra rétorquer avec Hannah Ahrendt que l’amour c’est pour les
gens, à la rigueur pour l’humanité, et non pour les pays. Peut-être.
Pourtant, l’amour de la patrie ne vous condamne pas à l’aveuglement :
correctement transmis par des adultes qui croient plus à l’énergie
positive du collectif qu’aux vertus de l’égoïsme consommateur, il
pourrait contribuer à rendre plus vivable notre maison commune.
dimanche 9 septembre 2012
La morale à l’école ? Et le patriotisme, bordel !
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