François Hollande est piégé
Pour Philippe Tesson, si le président persiste dans son projet de
taxation à 75 %, les conséquences économiques seront graves. S'il
renonce, le désaveu de sa famille politique sera cinglant.
Que l'enrichissement des riches s'accompagne d'un appauvrissement des
pauvres, cela est insupportable, à plus forte raison en période de
crise. Insupportable autant dans le principe que dans les faits. Le
récent rapport de l'Insee vient de confirmer que tel fut le cas en 2010,
où 90 % des Français ont vu leurs revenus baisser par rapport à l'année
précédente quand augmentaient ceux des 10 % les plus riches. On n'avait
d'ailleurs pas besoin de ce rapport pour le savoir : ce constat était
une évidence que nous révèle depuis longtemps la réalité quotidienne et
que vit péniblement, voire douloureusement, la majorité des Français.
Aucun honnête citoyen, fût-il de droite ou de gauche, n'a le droit de
reprocher aux socialistes d'avoir dénoncé durant leur campagne cette
distorsion, abusive en regard de la morale civique, politiquement
suicidaire et, in fine, préjudiciable à l'intérêt national. Même à
droite, elle était ressentie comme indécente. Même Sarkozy, qui avait eu
le tort de l'avoir tolérée lorsqu'il était au pouvoir, promit de la
corriger. François Hollande
a bâti l'essentiel de sa stratégie électorale sur la mise en cause de
cette injustice. Il était fidèle en cela à l'éthique socialiste. Certes,
il n'avait que des bénéfices à en tirer, mais ne lui faisons pas de
procès médiocres : il était sincère, il était dans le vrai et il
rejoignait le sentiment commun.
Efficacité dérisoire
Il doit en partie sa victoire à cette image justicière qu'il se donna
au cours d'une longue campagne où il développa sans relâche, parmi ses
thèmes favoris, la stigmatisation de l'argent. Mais il le fit avec une
agressivité et une arrogance inattendues, souvent proches de la
vulgarité. Son discours primaire, haineux et démagogique sur les riches
et sur les patrons démentait sa volonté de rassemblement. Par certaines
de ses propositions en matière de justice fiscale, principalement celle
de cette fameuse taxation à 75 %, autant que par des propos souvent
insultants, qu'il continua à proférer dans les premières semaines de son
mandat, il s'aliéna une fraction de l'opinion et surtout les milieux
économiques dont il était fatal pourtant qu'il se trouvât rapidement
dans l'obligation de les rassurer. Cette absence de mesure fut une
erreur politique, qui, parmi d'autres causes, est à l'origine des
difficultés qu'il rencontre aujourd'hui.
Le voici en effet piégé. Les récentes informations relatives à
l'intention supposée du gouvernement d'adoucir les dispositions du
projet de taxation des "super-riches" à 75 %, suivies de l'annonce faite
hier par Bernard Arnault
de solliciter la nationalité belge, plongent le président de la
République dans une situation pour le moins embarrassante. Soit il
renonce, pour peu qu'il en ait eu l'intention, à amender son projet et
il le maintient dans sa radicalité. Soit il l'aménage. Dans le premier
cas, sa stratégie de la main tendue au patronat, telle qu'il semble
l'avoir depuis peu initiée, et qui répond à la raison, marque un coup
d'arrêt dont les conséquences à la fois économiques et politiques
peuvent être graves. Dans le second cas, il s'expose à un désaveu
cinglant d'une partie de sa famille politique, quatre mois seulement
après son accession au pouvoir. Dans les deux hypothèses, le mal est
déjà fait : à la faveur de cet événement, la fracture politique qui
divise la France s'approfondit, alors que l'union est plus que jamais nécessaire pour conjurer les périls dont la crise nous menace.
Ainsi une initiative d'autant plus malvenue qu'elle n'avait dans
l'esprit infantile de ses promoteurs qu'une valeur symbolique -
rappelons que son efficacité est dérisoire puisqu'elle ne doit rapporter
que 300 millions d'euros - produit-elle des effets désastreux. Elle
risque d'entraîner, par ses développements inattendus, un mouvement de
fuite des activités et des capitaux nationaux, d'aggraver la crise
économique et morale dans laquelle vit la France, de ranimer un débat
idéologique qui paralyse les énergies.
Beau travail !
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