TOUT EST DIT

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dimanche 8 juillet 2012

Jalousie, quand tu nous tiens

Valérie Trierweiler avait-elle mesuré la portée de son tweet, désormais célèbre, en accordant son soutien au rival de Ségolène Royal, le dissident PS Olivier Falorni, avant le second tour des élections législatives de juin ? Cette scène de ménage au sommet de l'Etat a fait l'effet d'une déflagration, écornant l'image de présidence "normale" à laquelle François Hollande aspirait. Désavouer par jalousie son conjoint en prenant, publiquement, une position opposée à la sienne, à propos de son ex-compagne, était le plus mauvais choix rationnel. 
Du fait des recompositions familiales, les occasions d'être jaloux sont fréquentes. Quand il a des enfants d'une première union, le ou la conjoint(e) reste en contact avec son ex. La jalousie peut prendre comme support ce(tte) dernier(e), mais aussi sa progéniture. Plus fort que soi, le sentiment de jalousie, poussé à l'extrême dans le couple, est incontrôlable. Elle dépasse celui qu'elle étreint.
Preuve d'amour, la jalousie ? "Plutôt une conséquence naturelle du sentiment amoureux, explique le psychanalyste et thérapeute du couple et de la famille Serge Hefez, auteur de Scènes de ménage (Fayard, 2010). La relation amoureuse est chargée de passion, de peur d'abandon, d'inquiétude et de la toute-puissance de l'autre." Elle prend ses racines dans notre enfance. "La jalousie dans le couple se nourrit de deux sentiments, la peur que l'autre ne prenne l'objet d'amour - c'est la triangulation oedipienne qui se joue à trois - et la jalousie fraternelle proche de l'envie, celle qui se joue entre le rival et le jaloux", souligne le psychiatre. Le ou la rivale(e) est fantasmé(e). Il ou elle est plus beau ou belle que soi, plus intelligent(e).
"Dans tout amour, il y a une part héritée de l'enfance qui veut de façon impérieuse posséder celui que l'on aime pour soi tout seul. Si cette part est tempérée au fur et à mesure que l'on mûrit, que notre identité d'homme ou de femme s'affirme avec bonheur, elle s'exprime en mode mineur. Elle peut être la source de souffrances face à une infidélité, mais c'est une jalousie somme toute normale", argumente Marcianne Blévis, psychanalyste et auteure de La Jalousie : délices et tourments (Seuil, 2006).
"JUSQU'À EN DEVENIR DINGUE"
Un appel à témoignages, lancé sur Lemonde.fr, révèle des situations où l'on peut éprouver ce sentiment. "Je suis jalouse, avoue Audrey. Pas par nature, mais après une trahison." Son compagnon l'a, en effet, trompée. "Une fois que la confiance est perdue, difficile de ne pas être méfiante, raconte-t-elle. Il ment, s'inscrit sur des sites de rencontres. Je suis devenue paranoïaque, et visiblement cela le pousse à persévérer." Mais, à l'inverse, d'autres manifestations paraissent excessives, sinon pathologiques. Jean-François, 60 ans, est amoureux mais a mis fin à sa relation. Il raconte : "Nous discutions avec mon ex-amie quand tout à coup l'ambiance s'est gelée. Je lui pose alors des questions pour essayer de savoir de quoi il s'agit, mutisme de son côté. Au bout de quelques minutes, elle me dit : "la photo, là dans ton livre". En fait, c'était un marque-page avec la photo de l'auteur."
Une autre fois, il va voir ses enfants en Espagne, leur mère se trouve être là-bas en même temps que lui. "Cela m'a valu une semaine de froid, elle m'accusait d'avoir provoqué cette rencontre pour avoir une relation avec elle", explique-t-il. Tout peut alimenter les disputes. Théo, 28 ans, est jaloux du passé de ses compagnes : "Savoir que mes copines ont passé des nuits avec des inconnus avant de me connaître suffit à me faire haïr jusqu'à la ville où cela s'est passé. Au point de m'imaginer ces épisodes d'innombrables fois jusqu'à en devenir dingue."
"La jalousie est un désir de fusion, et le jaloux est une personne qui n'a pas été suffisamment rassurée par sa mère et qui n'a pas pu se séparer de son objet d'attachement", postule Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste, auteure de Abus de faiblesse et autres manipulations (JC Lattès, 300 p., 18 euros). La jalousie délirante est du registre de la paranoïa. C'est une psychose interprétative." Le jaloux pathologique est dans le déni. Il interprète la réalité de façon discordante. Pourquoi mets-tu ta belle chemise aujourd'hui ? Pourquoi te maquilles-tu ? "La jalousie consiste à vouloir garder pour soi seul l'objet aimé. S'il m'aime, il ne doit penser qu'à moi, c'est une possessivité absolue", poursuit-elle. On est même jaloux de ses pensées. On coupe l'être aimé de ses copains, de sa famille. Par ses comportements, la personne jalouse se rend antipathique. "Elle se saborde elle-même, elle fait souffrir et elle souffre", continue Mme Hirigoyen.
"LES JALOUX PATHOLOGIQUES"
Marcianne Blévis raconte qu'elle avait un patient qui chronométrait le temps que son épouse mettait pour aller au travail. "La jalousie excessive désigne un état plus ou moins intense, mais qui est une angoisse torturante concernant un ou une rival(e) plus ou moins imaginaire, véritable double du jaloux ou de la jalouse mais un double plus ou moins persécutant", ajoute-t-elle. Le rival a des pouvoirs mystérieux et maléfiques. "Ce qui prévaut alors, c'est l'excitation insatiable de ce désir d'emprise. Une véritable drogue, me disait une patiente, poursuit-elle. Ce genre de jalousie que rien n'apaise montre bien qu'il s'agit d'une sorte d'ivresse qui a pour fin de s'épargner la peine d'être soi pour préférer empêcher l'autre de l'être." La liberté de l'autre est source d'angoisse incontrôlable.
"Les jaloux pathologiques ont une estime d'eux-mêmes défaillante", explique Serge Hefez. N'ayant pas confiance en soi, ils n'ont pas confiance en l'autre. "Ils ont du mal à trouver leur juste place en se situant par rapport aux autres", poursuit-il. La vie est faite d'adaptations permanentes, mais le jaloux, parce qu'il ne sait pas se situer par lui-même, adopte une "identité rigidifiée", remarque Marcianne Blévis. De telle sorte qu'à la retraite ou au chômage, certaines personnes développent face à leur conjoint une jalousie excessive parce que, soudain, ayant perdu leur identité professionnelle, ils ont perdu tout point d'appui.
Peut-on guérir de cette souffrance que constitue une jalousie excessive ? "Ce sentiment ne se soigne pas, mais on peut apprendre à le contrôler", conclut Marie-France Hirigoyen.

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