TOUT EST DIT

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dimanche 4 septembre 2011

Le sexe n'est pas que construction

Décidément, les sciences de la vie et de la Terre déplaisent aux conservateurs, de droite comme de gauche. Par leurs disciplines et leurs contenus, elles se trouvent en prise avec les grandes questions touchant à la modernité de nos sociétés, à la laïcité et à la sexualité, sans oublier l'avenir de l'espèce humaine, avec les problématiques de la biodiversité et du réchauffement climatique.

Au nom de mes collègues chercheurs, je salue la pertinence et le courage - en un mot le dévouement citoyen - de nos collègues de l'éducation nationale chargés des programmes, et toutes celles et tous ceux qui oeuvrent pour un enseignement de qualité en phase avec les avancées des connaissances et des questions de société.
Il y a deux ans, je m'étonnais que, dans la perspective des nouveaux programmes, les sciences de l'observation et de l'expérimentation disparaissaient des classes de 2de, alors que se profilait le sommet de Copenhague. Ce dernier n'a pas été une réussite, et on s'en est sorti un peu mieux pour les programmes.
La polémique autour des théories de l'évolution s'est considérablement apaisée depuis 2009 (année Darwin). Remarquons néanmoins que, si les prétentions scientifiques des créationnistes ne présentaient pas un réel danger en France, sa forme plus léchée - le "dessein intelligent" - continue de faire son chemin, trop de journaux et de magazines se complaisant dans l'exercice puéril du dénigrement des sciences. C'est encore plus affligeant à propos de l'évolution dite de l'homme, toujours conçue comme un schème finalisé, téléologique. Il serait temps de lire et de comprendre Claude Lévi-Strauss, Jacques Monod et Stephen Gould.
Dans l'évolution, c'est toujours l'homme qui pose problème, et les sciences humaines. La controverse est loin d'être simple, et je vais essayer d'être méthodique. D'un point de vue biologique et évolutif, les espèces les plus sexuées sont les mammifères et les oiseaux ; les espèces les plus complexes physiologiquement, éthologiquement, cognitivement et, bien sûr, dans la diversité des sexualités. (Le sexe de la plupart des reptiles se fixe en fonction de la température d'incubation et 10 % des espèces de poissons changent naturellement de sexe au cours de leur vie.)
Le sexe biologique est fortement déterminé par les chromosomes, sachant que les femelles sont XX (homogamiques) chez les mammifères et XY chez les mâles (hétérogamiques), tandis que c'est l'inverse chez les oiseaux, avec des femelles ZW et des mâles ZZ. Un très faible pourcentage d'individus naît avec différentes formes d'indéterminations sexuelles.
C'est là qu'une partie des sciences humaines pose problème. En raison d'un antibiologisme radical, elles refusent cette réalité biologique qui fait que nous sommes dans le groupe des espèces les plus déterminées biologiquement pour le sexe. C'est inepte d'un point de vue scientifique, stupide d'un point de vue philosophique et ouvert à toutes les idéologies. Par-delà le sexe (biologique), il y a la sexualité, c'est-à-dire la diversité et la plasticité des comportements qui amènent des individus à avoir des relations sexuelles. Heureusement, une partie des sciences humaines travaille avec l'anthropologie évolutionniste, notamment autour de la sexualité et de la construction sociale de l'identité sexuelle des individus.
Notre espèce se caractérise par une réceptivité sexuelle des femelles quasi permanente et un découplage entre l'acte sexuel et la reproduction, ce qu'on retrouve aussi chez les grands singes les plus proches de nous. La sexualité intervient dans les relations affectives, mais aussi dans les résolutions de conflits et dans des actes d'humiliation et de soumission. L'évolution nous a légué cette plasticité étho-cognitive et, par conséquent, l'éducation et les représentations sociales interviennent dans la construction de la sexualité, ce qu'on appelle le "genre" qui, contrairement au sexe biologique, n'est ni strictement féminin ni masculin.
L'hétérosexualité comme l'homosexualité ne sont ni des normes ni des anomalies. Cela fait partie du jeu des possibles de nos sexualités au cours de nos vies. Ce qui change, c'est le pourcentage de personnes qui choisissent ces diverses formes de sexualité, parfois pratiquées alternativement par des individus, ou changeant au cours de leur vie, le plus souvent en étant épanouis et dans l'affection partagée.
L'éthologie, l'anthropologie et la sociologie nous confirment qu'il n'y a là aucune dérive, et encore moins de dégénérescence. Combien de grands personnages de l'histoire - pour ne parler que de la société occidentale - sont connus par la diversité de leurs préférences sexuelles ? Et puis il y a la grande diversité des pratiques sexuelles, plus ou moins contrôlées, ritualisées, participant aux initiations parmi les centaines de cultures étudiées par les ethnologues. L'anthropologie culturelle a bien établi l'importance de la construction du genre, et il s'agit bien d'une théorie scientifique, comme celle de l'évolution, avec des concepts et des paradigmes confrontés aux observations, autrement dit aux faits sociaux (les travaux de Françoise Héritier).
Je m'oppose à toutes ces théories qui détournent les gender studies, avec pour seul argument imbécile d'affirmer qu'il n'y a pas de sexe biologique, et qui plient les observations faites dans la diversité des sociétés humaines et de grands singes pour dénaturer ou naturaliser - c'est selon - notre sexualité. Je comprends leurs revendications, mais elles ne sont pas du domaine des sciences. Pas plus que les créationnistes ou les conservatismes religieux, ces organisations et leurs motivations - aussi fondées soient-elles - n'ont pas leur légitimité en classe de sciences. Pour cela, il y a la politique, et j'invite tous les protagonistes à ne pas se tromper de terrain.
Rappelons que la France bénéficie d'un des enseignements les plus qualifiés autour de l'éducation sexuelle, et que, depuis plus de trente ans, ce sont toujours les mêmes qui s'y opposent pour des raisons conservatrices. Ces considérations n'ont rien à faire en classe de sciences d'une école laïque et républicaine. Par comparaison, il suffit de constater le taux ahurissant de jeunes filles mères aux Etats-Unis et les actions fascisantes contre l'avortement. Les puritanismes ne font que générer de la frustration et de la misère sexuelle et sociale.
Cet enseignement doit aussi évoluer, et pour deux raisons : premièrement, parce que nos connaissances sur le sexe, l'homme et l'évolution ont considérablement avancé et, deuxièmement, parce que nos sociétés connaissent des changements importants sur les formes de sexualité et de parenté (Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004).
Il est tout à fait légitime que des élus s'intéressent aux contenus des programmes. Comme il s'agit de sciences, c'est le rôle des personnes compétentes d'en établir et d'en valider les contenus. Mais l'intervention des élus à l'encontre des connaissances scientifiques fondées sur des opinions politiques, philosophiques et/ou religieuses n'est pas légitime, même si cela devait leur déplaire en raison de leurs diverses convictions. Je comprends leurs valeurs, mais qui doivent respecter la plus grande de toutes dans nos sociétés modernes : la laïcité. En disant cela, je ne défends pas la science, mais bien la laïcité, et je suis heureux de telles controverses, qui placent l'école au coeur de nos débats citoyens.

LE SEXE EST SOUVENT DESTRUCTION.
N'EST-IL PAS, DSK ?

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