Francis Journot fait partie de l'association citoyenne «vêtements made in france». Dans une lettre envoyée au PS et relayée par le blog économique et social, il s'interroge : en cas de victoire, le parti d'opposition lancera-t-il de grands projets industriels pour créer des emplois ?
En cas de victoire, le parti socialiste poursuivra t-il la désindustrialisation entamée depuis plusieurs décennies ou soutiendra t-il de grands projets industriels manufacturiers créateurs d’emplois ?
Trois décennies de désindustrialisation : entre supercherie, incompétence et inconscience
Dés les années 70, les gouvernements successifs ont promis aux jeunes générations, des emplois propres, bien rémunérés, moins contraignants, qui seraient offerts en nombre suffisant, par les services et les R&D (Recherche et développement, ndlr).
L’industrie assurait alors le plein emploi avec un chômage qui ne touchait que 2 % ou 3 % de la population active et le budget de la France n’était pas déficitaire.
Plusieurs dizaines d’années plus tard, la ministre de l’économie, Christine Lagarde n’a tiré aucun enseignement de l’échec de cette désastreuse politique économique et déclarait sur Radio France, le 14 août 2008 : «Il ne serait pas sérieux de vouloir récupérer les industries ne nécessitant pas une main d’œuvre extrêmement qualifiée» ou «que les biens de consommation de base soient fabriqués en Chine, n’est pas le plus grave».
Certes, il est indispensable d’investir dans les technologies du futur, mais cela ne nous autorise pas à sacrifier une industrie manufacturière qui fournissait du travail à des millions d’ouvriers. De plus, l’effet multiplicateur de ces emplois industriels sur les emplois locaux, permettait le développement de territoires entiers, devenus aujourd’hui exsangues.
Pourtant, nous continuons à offrir ces activités de main d’œuvre aux pays émergents pour favoriser l’achat d’armement, de centrales nucléaires, d’avions et d’autres produits de grands groupes français, pour le plus grand bonheur de quelques dirigeants et gros actionnaires proches du gouvernement.
Par ailleurs, nous devons « consommer moins pour consommer mieux » pour préserver la planète et il est irresponsable de se satisfaire du consumérisme provoqué par l’importation d’articles bas de gamme, qui voyagent parfois 30 000 kilomètres pour finir dans nos poubelles après 2 ou 3 lavages ou usages.
Pendant son ministère, Christine Lagarde a préféré avant tout miser sur l’industrie aéronautique qui vient de bénéficier d’une aide de 2 milliards d’euros, sur l’industrie automobile qui délocalise à tour de bras après avoir également bénéficié de plusieurs milliards d’euros d’aides et sur des pôles de développement de très hautes technologies comme les biotechnologies et les nanotechnologies, qui créent, assurément des emplois à très forte valeur ajoutée, mais en nombre très restreint.
Ce discours utopiste ciblant principalement une industrie d’élite, est dépassé car chaque année, 1 500 000 ingénieurs indiens et chinois, sont formés, parfois dans nos écoles et par nos enseignants ou chercheurs, et s’approprient notre avance technologique issue de 50 années de recherches.
Aujourd’hui, la majorité des produits technologiques sont déjà fabriqués en Asie et lorsque nous vendons des centrales nucléaires ou des avions, nous devons, de plus en plus souvent, les réaliser sur place, en partenariat avec un pays émergent acheteur et cela crée peu d’emplois en France. Ainsi, nous offrons notre technologie souvent pour le prix dérisoire d’une commande et à ce rythme, bientôt, il ne nous restera guère d’activité industrielle.
Le maintien de l’emploi industriel plébiscité
Une enquête du CREDOC, de mai 2011, souligne l’inquiétude des français et démontre l’intérêt des consommateurs pour l’industrie française : 73 % des français déplorent le déclin de l’industrie et sont convaincus que le développement de la France ne peut se passer du secteur industriel et 64 % sont prêts à payer plus cher des produits industriels « made in France », au lieu de 44 % il y a 5 ans.
Le grand emprunt créera-t-il des emplois ?
Les R&D coûtent déjà 25 milliards d’euros par an aux contribuables, mais ne débouchent que rarement sur une production en France, pourtant ce secteur bénéficiera de la quasi-totalité des fonds dédiés. Les filières industrielles innovantes, parfois situées hors de l’hexagone, obtiendront des subsides de l’état français, mais les industries manufacturières traditionnelles produisant encore en France, potentiellement créatrices de nombreux emplois, ne recevront aucune aide.
Les R&D sont indispensables à notre croissance et à notre développement, mais peut-être conviendrait-il d’investir aussi sur le présent, car l’impact immédiat du grand emprunt sur l’économie et l’emploi en France, risque, selon plusieurs économistes, d’être inexistant.
Si l’on considère que, les fruits des coûteux travaux de R&D, sont souvent, rapidement copiés par des pays concurrents ou, leur sont parfois généreusement offerts, et que les produits issus des recherches, sont, par avidité, la plupart du temps immédiatement fabriqués hors de notre territoire, on peut aussi émettre de sérieux doutes sur la future et hypothétique efficacité économique, dans 15/20 ans, de ce grand emprunt. Il n’est pas certain que ce grand emprunt de 35 milliards soit plus efficace que le précèdent plan de relance de 34 milliards qui n’a sauvegardé ou créé que 18 000 à 72 000 emplois, avec un coût par emploi exorbitant, aggravant ainsi considérablement notre dette.
Renouer avec une politique industrielle créatrice d’emploi
La France affiche au premier semestre 2011, un déficit extérieur record de 37.5 milliards d’euros, probablement plus de 80 milliards à la fin de l’année et la croissance est atone. Le chômage continue d’augmenter malgré 200 000 ou 300 000 radiations mensuelles. Pole Emploi compte 5 millions d’inscrits et le RSA concerne 1.9 million de personnes.
L’absence de politique industrielle réaliste et le chômage qui en résulte, sont responsables d’une part importante de nos déficits publics, dont plus de 100 milliards de dépenses pour l’emploi par an.
Nous ne pouvons plus nous permettre d’être aussi élitistes et devons cesser de rêver à une fabrication exclusive de produits à haute valeur ajoutée ou hautement technologiques.
Peut-être est-il temps de reconnaître nos erreurs pour revenir à une vraie politique industrielle et nous ne devons pas attendre que notre pays s’enfonce davantage dans la crise.
Viabilité d’une production industrielle dans les pays occidentaux
Dans bon nombre de cas, les coûts salariaux ne sont pas vraiment déterminants et la délocalisation de l’activité n’est pas vitale pour la survie de l’entreprise. D’autres raisons animent parfois les dirigeants, parmi lesquelles le recours à la main d’œuvre plus docile et moins syndicalisée des pays émergents et dans les PME, le découragement, face à une administration française jugée peu compréhensive et des banques peu solidaires.
Certes, les donneurs d’ordres uniquement motivés par les gains de coûts et peu regardants sur la qualité, l’age des ouvrières et les conditions de travail, peuvent, même si l’on ajoute les surcoûts, faire des économies très conséquentes.
Il y a sur le continent asiatique, une grande disparité de salaires et ces nouveaux esclavagistes peuvent toujours trouver encore et toujours moins cher. Les grandes usines chinoises qui ont pignon sur rue ont dû, suite aux grèves, augmenter plusieurs fois les salaires mais il y a encore des dizaines de millions d’ouvrières, notamment en Inde et au Bangladesh, qui sont corvéables à merci, dont parfois des gamines de 12 ou 14 ans travaillant 14 à 16 heures par jour et six à sept jours par semaine avec une rémunération journalière de 1 à 2 euros.
Effectivement, si les boutiques occidentales vendaient les vêtements à des prix en rapport avec ces coûts salariaux presque inexistants, il serait évidemment impossible d’être concurrentiel en fabriquant en France, mais c’est loin d’être le cas !
Lorsqu’une enseigne de prêt-à-porter moyen de gamme ou auto proclamée haut de gamme ou luxe, opte pour la fabrication de vêtements à bas prix et produit ou achète par exemple, un article pour 1 euro en Chine ou en inde, celui-ci n’est pas pour autant revendu 3 ou 4 euros en boutique.
En réalité, le prix de vente dépend davantage du positionnement marketing de la marque et de ses ambitions que du coût réel de fabrication du vêtement et la cliente doit débourser 25, 50 ou 100 euros pour cet article de qualité souvent médiocre.
Ainsi la consommatrice perd du pouvoir d’achat car ce niveau de prix aurait pu naguère, lui permettre, d’acheter un article de meilleure qualité, fabriqué en France. En revanche, l’enseigne prospère très rapidement au frais de sa clientèle et s’offre généralement avec les économies réalisées sur les coûts de fabrication, de nombreuses et coûteuses campagnes de publicité, et des dizaines, centaines ou milliers de nouvelles boutiques ou mégastores qui enrichissent démesurément les actionnaires et fonds d’investissement.
Avant la délocalisation massive de l’industrie du textile habillement, afin que leurs prix soient concurrentiels, les boutiques appliquaient le plus souvent, un coefficient multiplicateur entre 2.2 et 3.5 au prix d’achat hors taxes payé à l’usine de vêtements. En clair, la moitié ou le tiers du prix payé par la consommatrice était constitué par le coût consacré réellement à la fabrication du vêtement et lorsqu’un article était soldé, le coût de fabrication représentait couramment 2/3 du prix acquitté.
Aujourd’hui, il n’y a aucun repère et la plupart du temps les consommatrices sont abusées.
Chez les chaînes de magasins proposant des articles à prix bas ou modérés, les consommatrices ont le sentiment de pouvoir consommer davantage qu’auparavant, mais il n’est pas non plus certain qu’elles aient gagné du pouvoir d’achat car ces produits importés sont souvent rapidement hors d’usage ou démodés et doivent être renouvelés en permanence. Les groupes de distribution l’on bien compris et savent également qu’une profusion d’articles à bas prix génère l’achat d’une plus grande quantité de produits, parfois inutilisés.
L’achat impulsif remplace l’achat réfléchi et ces temples du consumérisme connaissent maintenant l’apogée.
Les Etats-Unis, pourtant au cœur du processus de mondialisation, envisagent maintenant la relocalisation : dans l’article « Moving back to America », publié sur The economist, le 12 mai 2011, le BCG (Boston Consulting Group), nous informe que la convergence des salaires américains et chinois, pourrait favoriser une relocalisation de l’industrie aux Etats Unis à l’horizon 2015 et prédit un nouvel avenir pour l’industrie américaine.
Notre voisin allemand, dont la croissance repose sur son modèle industriel et dont le coût de main d’œuvre est proche du notre, a su préserver sur son territoire, une plus grande part de son industrie et reste le deuxième exportateur mondial de biens.
Des économistes compétents tentent de nous faire prendre conscience des dangers liés à la perte d’industrie manufacturière. Parmi eux, Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à Harvard, dont l’article publié sur le site remarquable « Project Syndicate » le 8 août 2011, démontre la nécessité de conserver une industrie manufacturière.
La production en France d’une grande part de nos biens de consommation pourrait être économiquement viable et notre projet a rencontré un bon accueil lors de sa publication :
- Un plan de sauvetage pour l’industrie manufacturière
- « L’emploi industriel ? On dirait qu’ils s’en foutent … »
Recréer 500 000 à 1 million d’emplois
Le mode de financement de l’entreprise et la structure de son capital social, permettraient d’offrir aux salariés, des avantages financiers semblables à ceux d’une coopérative, mais sans nécessiter d’investissement personnel.
Par ailleurs, cette politique de rémunération renforcerait la cohésion dans l’entreprise et atténuerait considérablement les risques de conflits sociaux.
Ces intéressantes perspectives d’emplois seraient offertes à des personnels qualifiés, riches d’un savoir-faire, mais aussi des personnels jeunes et sans formation, souhaitant acquérir un métier dans une entreprise qui n’aurait pas vocation à délocaliser et qui leur assurerait longtemps du travail.
La mise en œuvre de notre modèle économique pourrait susciter un formidable espoir, et offrir un nouvel horizon à des français abandonnés par l’état. Nous pourrions également créer des synergies avec le projet d’emplois jeunes du programme socialiste.
En 10 à 20 ans, avec un mode de gestion adapté à nos coûts de production plus élevés, notre pays, ancienne patrie de la mode, pourrait récupérer 1 à 2 % de la fabrication mondiale de vêtements et créer 125 à 250 000 emplois et encore au moins 125 000 dans la fabrication d’autres biens de consommation. Si l’on ajoute les emplois indirects et induits générés grâce à ces nouvelles activités industrielles régionales, au total, ce sont 500 000 à plus de 1 million d’emplois qui pourraient être créés.
Une réelle volonté politique sera indispensable
François Hollande, fidèle au dogme socialiste, a souvent prôné plus de mondialisme et d’importations « pour aider les pays du sud ».
Compte tenu du déficit record de la balance commerciale et d’une crise s’aggravant chaque jour, l’ancien Premier secrétaire du PS prendra t-il enfin en compte l’opinion des ouvriers et de la majorité de français qui souhaitent que l’on récupère notre industrie manufacturière ?
Martial Bourquin, Sénateur PS et Président de la commission du Sénat pour la reindustrialisation créée à son initiative, a rendu son rapport en juin 2011, au terme de onze mois de travaux. D’importantes divergences ont opposé les sénateurs socialistes au groupe de sénateurs majoritairement à droite et le rapport final de cette mission n’a pas été signé.
Cette propension à défendre notre industrie pourrait peut-être préfigurer une politique industrielle plus volontariste des élus du Parti Socialiste.
Dans notre article du 25 mai 2011, Un plan de sauvetage pour l’industrie manufacturière, nous avons évoqué la possibilité d’une renaissance de l’industrie manufacturière française facilitée par l’augmentation des salaires dans les pays émergents et les coûts croissants du transport. Martine Aubry partage semble-il, notre analyse et a présenté ces mêmes arguments lors d’une interview, le 21 août 2011 sur BFM TV.
L’ancienne ministre du travail a également recommandé : « il faut remettre l’industrie au cœur de notre développement » et cité « les textiles innovants ».
Cependant, le marché des textiles techniques est un marché de niches avec une production de petites quantités de produits à forte valeur ajoutée qui emploie à peine 19 000 personnes. Ce marché des textiles innovants, brandi depuis plus de 20 ans par la plupart des personnalités politiques dont Nicolas Sarkozy, comme le remède miracle à la délocalisation du textile habillement, reste malgré tout peu créateur d’emploi.
Par ailleurs, si les ventes explosaient, il est à craindre que les plus grosses entreprises, souvent bénéficiaires du financement en R & D de l’état, s’empressent encore de délocaliser. Peut-être conviendrait t-il de soumettre l’obtention de financement en R & D, à l’engagement à ne pas délocaliser. Certes, cela va à l’encontre d’une politique gouvernementale qui encourage les délocalisations. René Ricol, Commissaire général du grand emprunt de 35 Milliards, a expliqué sur BFM Business, que dans le contexte de globalisation, il devait aussi investir l’argent du contribuable français dans les R & D de sociétés situées à l’étranger !
Au cours de son interview, Martine Aubry a ajouté : « il faut aussi relocaliser un certain nombre d’activités », sans toutefois préciser clairement si elle incluait des industries manufacturières traditionnelles comme celles du textile habillement et du meuble. Pourtant, seuls des marchés de masse sont susceptibles de générer les millions d’emplois industriels indispensables à la santé économique et sociale d’un pays de 65 millions d’habitants.
Nous pensons que la réindustrialisation de la France est surtout affaire de volonté politique et nous ne devons plus feindre de croire que l’invention de quelques produits innovants à forte valeur ajoutée, suffira à compenser la disparition des grandes industries manufacturières.
De plus les produits innovants les plus prometteurs sont souvent acquis par des fonds d’investissement qui délocalisent systématiquement la production dans les pays émergents.
Croissance industrielle et consommation d’importations
L’emploi, thème de campagne qui a permis la victoire des socialistes en 1981, demeure encore aujourd’hui la principale préoccupation de nos concitoyens.
Certes, compte tenu de la dette, le PS ne peut raisonnablement envisager une création massive d’emplois dans le secteur public comme il l’a fait en 1981.
Face à Nicolas Sarkozy qui a anéanti notre industrie manufacturière et n’est plus crédible en matière d’emploi industriel, le Parti Socialiste adoptera t-il notre projet économique de relance de l’industrie manufacturière des biens de consommation ?
La croissance de la France est de plus en plus dépendante d’une consommation des ménages payée à crédit et financée par la dépense publique.
Le Parti Socialiste est il prêt à opter pour un modèle de croissance à la fois plus industriel et moins consumériste ?
Verrons-nous enfin en 2012, un gouvernement disposé à renouer avec l’industrie manufacturière, pour recréer des emplois, sauvegarder nos régimes de protection sociale, rétablir notre balance commerciale, augmenter notre croissance et réduire nos déficits ?
Souhaitons que le PS manifeste plus d’intérêt que Nicolas Sarkozy, pour une renaissance de l’industrie manufacturière française des biens de consommation et que l’emploi industriel, enjeu économique et social majeur pour l’avenir de la France, soit au cœur des débats lors de la prochaine campagne pour l’élection présidentielle.
Francis Journot, association citoyenne «vêtements made in France».
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