Luc Chatel n’a pas de chance tout court. Il occupe un poste intenable – un nid à ennuis, pour être poli, selon les termes de ses collègues – et c’est d’ailleurs presque un exploit de le voir encore là pour sa troisième rentrée. Aucun de ses prédécesseurs n’avait fait mieux depuis François Bayrou entre 1993 et 1997. Avouons-le, réussir au ministère de l’Éducation nationale est plus difficile qu’un sacerdoce, une – vraie – mission impossible, tant le moindre changement apporté à l’édifice et à son fonctionnement le fait immédiatement chanceler et expose son architecte du moment à une avalanche d’effets contradictoires.
Luc Chatel n’a pas de chance non plus avec son époque. Comment réformer d’une main et tailler dans les dépenses budgétaires au moment où la France est condamnée à faire des économies ? Un problème mathématique avec tellement de paramètres qu’il est sans solution rationnelle. Pour arriver à un résultat, le ministre a préféré inscrire «–16 000» dans la colonne postes d’enseignants tout en développant la démonstration (c’est important dans les maths) que cette opération était au service de la qualité et que qualité (là on passe au français) ne rimait pas avec quantité.
À l’oral, c’est pas mal. On ne demande qu’à croire le professeur Chatel. L’augmentation des moyens n’est pas une philosophie du progrès, et le «sur-mesure» dont il est un VRP appliqué est sans doute plus efficace qu’une distribution d’argent frais réparti sans discernement. Jusque-là, le raisonnement tient. Encore faudrait-il que la «qualité» promise soit bien au rendez-vous. Et là, Luc Chatel ne voit sans doute pas la même école que nous. Ou plutôt, il ne voit que celle qui fonctionne bien – elle existe bien sûr – avec des professeurs et des élèves heureux. Mais le bilan, hélas, n’autorise ni l’autosatisfaction agaçante du ministre, ni son étonnante candeur, ni ses certitudes. Ce vendeur devrait savoir que le catalogue ne suffit pas à emporter l’adhésion.
Il ne s’agit pas de mettre en cause sa bonne volonté, mais la cohérence du discours. Réformer le lycée en revalorisant à la fois la filière littéraire et les voies technologiques, par exemple, est une très bonne idée mais à condition de ne pas déshabiller Paul pour habiller Pierre. La relégation de l’histoire en option pour les Terminales S, elle, est en contradiction complète, par exemple, avec le désir de former des citoyens d’autant plus libres qu’ils comprennent le monde dans lequel ils vivent.
Le problème de M. Chatel, c’est le décalage entre ses intentions et le réel. À trop prendre ses visions pour des réalisations concrètes, il fabrique des mirages désespérants. Même la morale dont il a décrété la résurrection au tableau noir – pourquoi pas ? – s’évapore quand le petit monde du pouvoir la gribouille sur des fadettes illégales. M.Chatel n’a pas de chance.
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