Comme c’était prévisible (notre éditorial du 22 août 2010), la vente de bateaux de projection français de la classe « Mistral » à la Russie butte sur le transfert de technologie. Plus précisément sur le contenu exact du prix d’au moins un milliard et demi d’euros, sur lequel Paris et Moscou s’étaient entendus l’année dernière. Il y va de quatre bateaux: deux seront construits en France, les deux autres assemblés dans un chantier naval russe. Pour un pays dont la marine n’a jamais été très riche en porte-aéronefs modernes, ce partage serait déjà une initiation à une nouvelle génération de bâtiment, qui sont aussi des postes de commandement flottants.
Cette fonction implique des capacités embarquées très pointues, d’observation, de détection, de communications, de calcul informatique. En fait, c’est dans ce domaine que les amiraux russes espèrent accéder au dernier cri de la technique occidentale. Mais Paris agit comme s’il suivait notre conseil, contenu dans ledit éditorial aoûtien: proposer aux Russes une version « export » - simplifiée - des systèmes sensibles du «Mistral». Tout comme les Russes, comme nous l’avions alors souligné, proposent à certains pays des versions de leurs avions de combat Sukhoï débarrassées des équipements les plus modernes en service sous l’étoile rouge. La France est d’autant plus tentée d’agir ainsi, que les systèmes de ces bateaux tant convoités sont en réseau avec ceux d’autres unités essentielles de la Marine nationale, en particulier le porte-avions à propulsion nucléaire « Charles de Gaulle ». En disperser la technologie risquerait d’affaiblir les protections dont la gestion de ces bâtiments et les liaisons entre eux et les états-majors doivent bénéficier.
Pourtant, la demande russe n’est pas extravagante dans son principe : le transfert de technologie est aujourd’hui une demande classique des acheteurs d’armes. Le Brésil n’agit pas autrement pour son marché des avions de combat ; le succès du « Rafale », naguère prématurément annoncé comme acquis, dépend aussi de ce que la France est prête à céder en matière de savoir-faire. Les pays émergents ne veulent pas seulement s’armer, mais aussi apprendre à s’armer. Et peut-être nous concurrencer demain.
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