TOUT EST DIT

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samedi 12 mars 2011

Le pari libyen de Sarkozy

Après l'attentisme, l'audace. En annonçant la reconnaissance du Conseil national de transition, qui rassemble l'opposition au colonel Kadhafi, c'est une brusque accélération que l'Élysée vient d'imprimer, hier, à la diplomatie française. La France parie sur la fin proche de Kadhafi. Elle est le premier pays à reconnaître l'opposition libyenne, qui lui en sera éternellement reconnaissante. Elle brûle la politesse à ses partenaires européens, à l'Otan, à l'Onu. Dans le style et le timing, c'est du pur Sarkozy. Avec sa part de culot, d'intuition, de pari, d'incertitudes et de risques.

Le culot, c'est d'annoncer, à la veille d'un important sommet européen, une telle prise de position. On peut, certes, donner crédit au président français de ne pas sombrer dans l'immobilisme de certains de ses partenaires, mais la discussion va débuter, aujourd'hui à Bruxelles, sur une note bien peu collégiale. Quoi que pensent les autres capitales, Paris a déjà fait son choix. Certains diplomates européens, à Berlin ou à Rome notamment, ne cachaient pas, hier, leur perplexité, voire leur irritation.

L'intuition, c'est une nouvelle fois, comme en Géorgie, en 2008, la possibilité d'exploiter le vide créé par la prudence américaine. Ni Obama ni même son opposition, hormis les traditionnels va-t-en-guerre, ne souhaitent ajouter à l'Irak et à l'Afghanistan un bourbier libyen. Washington demande explicitement un engagement européen dans ce qui est son proche voisinage, et l'un de ses réservoirs à gaz et à pétrole.

Le pari, c'est d'abord, pour la France, de remettre pied sur le sol nord-africain du bon côté. Le bon côté étant celui des aspirations démocratiques. La chute de Ben Ali a aussi été celle d'une stratégie occidentale, et notamment française, d'une bonne quinzaine d'années, qui reposait sur le soutien à des dictatures en échange d'hydrocarbures et de répression du terrorisme et de l'immigration clandestine. En soutenant les démocrates libyens, Paris espère rompre l'image négative liée à cette stratégie défunte.

L'autre pari, c'est celui d'une possible partition de la Libye. On sait le pays dépourvu de partis politiques, d'ossature étatique, reposant sur une forte identité tribale. La guerre civile, déjà en germe, ne laisse envisager aucune issue viable, aucun vainqueur réel. La reconnaissance du fragile CNL, c'est un encouragement de facto (délibéré ?) à la division du pays. Depuis hier, une deuxième Libye existe diplomatiquement. Grâce à Paris. Le sous-sol faisant bien les choses, elle dispose, elle aussi, de pétrole et de gaz. Resterait à définir la frontière.

Ce type de tracé, ce sont les armes qui le plus souvent en décident. Jusqu'où ira Kadhafi ? Et s'il reprenait le dessus ? Quelles positions vont adopter la Russie (qui vend des armes à Kadhafi) et la Chine (qui lui achète son pétrole) ? L'existence de deux Libye satisferait-elle leurs intérêts ?

On mesure, aisément, combien tous ces scénarios comportent de risques. Choc pétrolier, annulation de contrats (redoutée à Saint-Nazaire), implication croissante dans le conflit libyen, effet dominos d'une éventuelle partition. En un geste diplomatique, Paris vient de bousculer le jeu européen en Libye. L'avenir nous dira si ce geste était audacieux ou hasardeux.

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