TOUT EST DIT

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mardi 15 mars 2011

La QPC, nouvelle arme fatale du procès pénal ?

Quel est le point commun entre René Teulade, ancien ministre socialiste, Rémy Chardon, ex-directeur de cabinet de Jacques Chirac à la Mairie de Paris, Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d'Ile-de-France, Thierry Gaubert, ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy et le promoteur immobilier Philippe Smadja ? Trois lettres : QPC. Tous, aujourd'hui, se retrouvent dans l'actualité judiciaire et pour tous, leurs avocats ont dégainé leur nouvelle arme procédurale : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Trois lettres qui sonnent comme un nouveau droit pour le justiciable, qui peut désormais à tous les stades de la procédure contester devant le juge la constitutionnalité de la loi applicable à son litige. Mais trois lettres aussi qui représentent une opportunité que même dans leurs rêves les plus fous, les avocats n'avaient pas osé imaginer : suspendre pour de longs mois le temps judiciaire... Au risque de dénaturer une belle idée démocratique et de gâcher de vraies questions juridiques.


Instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la QPC est un beau succès : plus de 2.000 questions ont été posées depuis sa mise en oeuvre le 1er mars 2010. Après un premier écrémage par le juge qui apprécie le « sérieux » et la « nouveauté » de la question, celle-ci est éventuellement transmise soit au Conseil d'Etat (pour le juge administratif), soit à la Cour de cassation (pour le juge judiciaire), les deux hautes juridictions jouant, en la matière, un rôle de filtre. Au total, en un an, 124 questions ont été examinées par le Conseil constitutionnel, permettant d'abroger nombre de dispositions législatives contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, comme la décision à propos de la garde à vue obligeant le gouvernement à revoir la procédure ou, plus récemment, au sujet de l'hospitalisation d'office rendue plus conforme aux droits individuels.


Voilà maintenant la phase deux du mouvement : celle de l'arme procédurale. Cela fait un an que les cabinets d'avocats s'y préparent en recrutant à prix d'or des spécialistes de droit public. Ce sont les conseils de Jean-Paul Huchon qui, les premiers, ont ouvert le bal au mois de janvier dans l'affaire contestant la conformité de la communication du président du Conseil régional d'Ile-de-France pendant la campagne électorale. L'affaire s'était mal engagée au Conseil d'Etat, ce qui pouvait déboucher sur une condamnation à un an d'inéligibilité, avec démission immédiate. Mais, miracle ! Acceptée par le Conseil d'Etat, la QPC va permettre de laisser passer les élections cantonales... La question n'en est pas moins sérieuse : l'automaticité entre faits et peine encourue est-elle conforme aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines ? Le Conseil constitutionnel lui-même s'en était déjà ému.


La semaine dernière le procès des emplois fictifs de la Mairie de Paris s'est brutalement interrompu après le dépôt d'une question prioritaire par l'avocat de Rémy Chardon. Aujourd'hui, les juges de Nanterre devraient suivre leurs collègues dans une affaire d'abus de biens sociaux à l'encontre d'une société de collecte du 1 % logement dans laquelle sont poursuivis Philippe Smadja et Thierry Gaubert. Les juges de Paris pourraient leur emboîter le pas dans le dossier d'abus de confiance à l'encontre de la Mutuelle Retraite de la Fonction Publique, qui vaut à René Teulade d'être renvoyé devant les juges.


Les questions posées à l'ouverture du procès de Jacques Chirac et qui seront encore posées ce matin par le même avocat -Jean-Yves Le Borgne qui défend Philippe Smadja -, celle posée par Jean Veil, l'avocat de Thierry Gaubert, ou celle posée par Jean-René Farthouat, celui de René Teulade, sont tout aussi sérieuses : jusqu'où la jurisprudence peut-elle aller pour définir un délit ? Il y a longtemps que juges et avocats s'affrontent sur la prescription des délits dits « dissimulés » (abus de biens sociaux, abus de confiance...). Parce qu'ils ne sont généralement révélés qu'à l'occasion d'un changement de direction ou d'un nouveau mandat, les juges ont pris l'habitude de faire démarrer la prescription de ces infractions à partir du moment où les faits peuvent être connus. Des faits très anciens peuvent ainsi être poursuivis. Les politiques ont essayé à de multiples reprises de mettre à bas cette jurisprudence mais toutes les tentatives législatives ont avorté devant le tollé médiatique soulevé : faire tomber cette jurisprudence, c'est mettre à bas la plupart des affaires politico-financières. De même pour l'autre question posée lors du procès Chirac et qui sera reposée aujourd'hui à Nanterre : l'usage de la connexité entre deux affaires. Utilisée dans de nombreux dossiers de santé publique, comme l'amiante, elle permet de « rattacher » une affaire prescrite à une affaire non prescrite.


Ces constructions jurisprudentielles seraient pour les avocats contraires au principe de légalité des délits et des peines qui veut que la prescription soit clairement contenue dans la loi. Le problème de droit est donc réel : aucun texte de loi ne précise que la prescription des délits dissimulés est repoussée au moment de sa découverte. Mais poser ces questions en plein procès Chirac, le reportant ainsi de plusieurs mois, était-ce la meilleure manière de faire avancer le droit ? La Cour de cassation acceptera-t-elle de sacrifier sa propre jurisprudence ? Pour le professeur de droit public Guy Carcassonne « s'il y a un problème, il faut qu'il soit tranché. » Quant à l'engouement des avocats pour la QPC « la méthode n'a pas vocation à s'installer, pronostique le constitutionnaliste, il faut nettoyer les fonds de cuves des questions juridiques »... et cela ne sent pas toujours bon.

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