Le demi-silence prudent observé par les régimes arabes face au succès de la révolution tunisienne est très éloquent, reflétant leur propre peur de soulèvements populaires. La rue arabe a au contraire été captivée par les quatre semaines de soulèvement qui ont conduit à la chute d'un pouvoir qui, sous couvert de sa réussite économique, avait réussi à faire taire les critiques de ses partenaires étrangers sur ses atteintes aux libertés publiques.
Si les pays occidentaux souhaitent désormais ouvertement la démocratisation de la Tunisie, les capitales arabes restent discrètes, inquiètes du caractère spontané et inorganisé du mouvement ayant mis fin aux vingt-trois ans de régime policier de Zine El-Abidine Ben Ali.
Dans une déclaration d'une extrême prudence, la Ligue des Etats arabes a invité samedi à la fois les autorités, les partis politiques et les forces vives de Tunisie à faire preuve d'"unité" pour "maintenir les réalisations du peuple tunisien et parvenir à la paix dans le pays". L'Arabie saoudite, qui a offert un asile au moins provisoire à Ben Ali et à sa famille, s'est bornée pour sa part à souhaiter que son petit partenaire de la Ligue surmonte ces "circonstances exceptionnelles".
En Egypte, le président Hosni Moubarak, qui règne sans partage depuis près de trente ans sur le pays arabe le plus peuplé, a dit par la voix du ministère des affaires étrangères avoir "confiance dans la sagesse de ses frères tunisiens" et fait part de son souhait de ne pas voir la Tunisie "s'effondrer dans le chaos".
Le Soudan a été plus audacieux en saluant le changement politique à Tunis et en souhaitant au pays "de parvenir à la liberté, à la sécurité, à la stabilité et à un bel avenir". Le renversement du dictateur soudanais Gaafar el Nimeiri, en 1985, après une vague de manifestations populaires, est peut-être le précédent ressemblant le plus au cas de la Tunisie. Mais le président actuel, Omar Al-Bachir, recherché par la justice international pour crime de guerre au Darfour, a pris le pouvoir en 1989 par un coup d'Etat.
En Irak, où la monarchie a été renversée par 1958 par une insurrection populaire couronnée par un coup d'Etat, le porte-parole du gouvernement s'est refusé à commenter la situation en Tunis, se retranchant derrière la non-immixtion dans ses "affaires intérieures".
CRAINTE DE LA CONTAGION
L'extrême réticence des pays arabes à commenter l'histoire qui se précipite à Tunis, voire le silence assourdissant des autres pays du Maghreb traduit, selon l'analyste Camille Taouil, leur crainte d'une contagion sur leur propre territoire d'une révolution spontanée "à la tunisienne". Mais il ne signifie pas nécessairement qu'ils resteraient les bras croisés en pareille hypothèse. "Les autres autocrates n'auront pas les même scrupules pour écraser la violence que les Tunisiens ont eues", estime Richard Dalton, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne à Tripoli et Téhéran.
Pour le commentateur libanais Rami Khouri, "le message de l'insurrection tunisienne est clair : il marque la fin de la soumission et de la docilité des masses arabes après des décennies de complaisance devant l'essor des Etats arabes sécuritaires fondés sur la police et l'armée et soutenus par l'Occident". Pour lui, les griefs des émeutiers tunisiens sont partagés largement par la rue arabe, sauf peut-être dans les petites pétromonarchies du Golfe.
D'autant que des centaines de millions d'Arabes ont pu suivre et encourager en temps réel le déroulement de la révolution tunisienne grâce aux chaîne satellitaires, comme Al-Djazira, ou des réseaux sociaux d'Internet, tels Facebook et Twitter.
Parmi les pays susceptibles d'être affectés par cette onde de choc, certains spécialistes citent l'Egypte, la Jordanie, la Syrie et les voisins maghrébins de la Tunisie. Pour Hami Hassan, porte-parole des Frères musulmans égyptiens, principal mouvement d'opposition au régime fort de Moubarak, les événements en Tunisie "sont de mauvais augure" pour d'autres dirigeants arabes. "Je crois que chacun d'entre prépare maintenant son avion et met en ordre ses comptes personnels tout en s'apprêtant à serrer les boulons sécuritaires pour tenter de se maintenir au pouvoir."
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