TOUT EST DIT

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lundi 13 septembre 2010

La retraite à 60 ans pour pénibilité, un travers français

En dédaignant les amendements apportés par l'exécutif à la réforme des retraites, les syndicats font la fine bouche. Mesurent-ils bien ce qu'ils ont obtenu ? Certes rien sur le recul des âges légaux de la retraite. Mais rien de moins que l'introduction d'un nouveau droit social : celui de pouvoir partir en retraite anticipée, dès 60 ans, pour cause de travail pénible. Un droit que l'Etat français, décidément jamais en retard d'une providence, s'apprête à consacrer alors qu'il est sans équivalent dans les pays de l'OCDE.

Le principe était affirmé dans le projet initial sous la forme d'un maintien de l'âge légal de départ à 60 ans pour les travailleurs ayant eu un métier pénible au point d'être reconnus en incapacité physique pour au moins 20 %. De cette mesure assez restreinte au départ, Nicolas Sarkozy a fait un dispositif plus large en décidant, la semaine dernière, d'abaisser à 10 % le seuil d'incapacité pris en compte, et de l'étendre aux agriculteurs. Cette seule décision a déjà triplé la cible théorique de départ, passée en une nuit de 10.000 à 30.000 personnes.

D'un point de vue financier, l'enjeu n'est pas anecdotique. Il en coûtera, en effet, plus d'un demi-milliard d'euros par an à la branche d'indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Une branche dont le déficit cumulé 2009-2010 devrait être compris entre 1 milliard et 1,5 milliard d'euros. Même si cela paraît peu de chose en comparaison du déficit colossal que s'apprête à connaître l'ensemble du régime général de Sécurité sociale cette année (27 milliards d'euros), la « mise de départ » est loin d'être négligeable.

Elle représente le tiers de celle du revenu de solidarité active (RSA), lancé voici tout juste deux ans. Manifestement réticent à ouvrir une nouvelle boîte de Pandore sociale, le gouvernement a pris la précaution d'encadrer ce nouveau droit de trois manières, en veillant à ce qu'il soit attribué de façon individuelle et non pas collective, conditionnelle et non pas automatique, et enfin à partir d'éléments constatés et non pas présumés - comme c'est d'ailleurs, naturellement, la règle en matière de réparation d'un dommage. La solution prisée par les organisations syndicales, soutenue par une partie de la gauche et des éléments de l'aile sociale de la droite consistait, au contraire, à arrêter des critères de pénibilité applicables à tous sans que chacun ait à devoir soumettre son cas à une commission d'experts.

Ainsi, aurait-il dû suffire d'avoir été exposé un certain temps à des conditions de travail particulières. La liste des facteurs de pénibilité est du reste assez consensuelle : travail à des horaires décalés, fractionnés ou nocturnes, exposition au bruit, aux vibrations ou au port de charges lourdes, manipulation de substances toxiques, cancérigènes, travail dans des conditions extrêmes - de froid, par exemple, comme dans les abattoirs.

Pour certains, le seul fait de justifier d'un ou plusieurs de ces éléments devrait suffire à qualifier la pénibilité, donc sa réparation sous forme de droit à la retraite anticipée. « Des dizaines d'années de marteau-piqueur ont sur l'organisme humain des incidences délétères que ne peuvent compenser ni la gratuité des soins ni le système de retraite actuel », écrit ainsi, dans « Le Figaro » du jeudi 9 septembre, l'ancien député Jean-Frédéric Poisson (UMP), auteur d'un rapport sur le sujet. L'approche gouvernementale consiste, au contraire, à objectiver l'effet de la pénibilité, par la reconnaissance d'une incapacité.

C'est cette précaution qui passe mal, y compris au sein de la majorité. Ainsi, le président du Sénat n'est-il pas loin, lui non plus, de réclamer une reconnaissance a priori de la pénibilité lorsqu'il se demande si l'on ne devrait pas, tout simplement, parvenir, à des listes de métiers pénibles. Cette approche « verticale » plutôt que « transversale » (par le biais des professions plutôt que par celui des conditions de travail) trouve cependant peu de partisans, car elle reviendrait à rebâtir des régimes spéciaux.

Préalable à l'obtention du droit à une retraite dès 60 ans, le passage de chaque demandeur devant une commission mixte, composée de médecins et de partenaires sociaux, devrait apporter enfin une protection face aux abus comme il y en a eu, et en grand nombre, dans l'attribution - parfois sur la base d'une simple attestation de travail -du droit au départ anticipé pour carrières longues. Il n'est pas certain, toutefois, que cette sage précaution suffise à empêcher ce droit social nouveau de gagner du terrain. La présence dans ces commissions de représentants syndicaux accrédite ce risque.

Et ce ne sont pas les précédents qui manquent, à commencer par celui de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), instituée le 1 er janvier 2002 par le gouvernement Jospin. Attribuée elle aussi après examen par une commission médico-sociale, l'APA devait couvrir une population potentielle de 800.000 personnes âgées dépendantes. Elle est versée aujourd'hui à près de 1,2 million et son coût global - à la charge des départements -a doublé en sept ans.

Même si le nombre de Français théoriquement concernés par la retraite anticipée pour pénibilité est sans commune mesure, il n'est pas négligeable. Ce sont quelque 115.000 personnes de tous âges qui arrêtent de travailler, chaque année, au titre de l'inaptitude au travail. Et le montant total de rentes permanentes pour incapacité versées par la Sécurité sociale dépasse pour la première fois, depuis la fin de 2009, 4 milliards d'euros.

A nouveau, l'Etat providence s'apprête à ajouter une couche au mille-feuille social plutôt qu'à en retirer, à réparer un dommage collectif plutôt qu'à le prévenir et à payer pour en compenser le résultat -une espérance de vie réduite -plutôt que pour éviter d'en arriver là.



JFP

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