À l'évidence, la vague syndicale contre la réforme des retraites est d'une amplitude qui rejoint les grands mouvements sociaux de ces vingt dernières années. Elle ne saurait donc être évacuée sans autre forme de procès. Elle va nécessairement contraindre l'Élysée à lâcher du lest sur le versant le plus controversé de la réforme, son traitement inéquitable.
Les syndicats ont engrangé un gros succès. Soit. Peuvent-ils pour autant pousser leur avantage ? Trois obstacles risquent d'entraver cet objectif. La butée du temps est la plus immédiate. Le calendrier est délibérément resserré, incompatible avec le mûrissement nécessaire aux grands mouvements sociaux.
Une manifestation hétérogène réunissant autour de deux millions de participants n'est pas reconductible toutes les semaines. Ensuite, au révélateur des nouvelles propositions gouvernementales, les arrière-pensées syndicales et les différences de stratégie peuvent ressurgir et lézarder le front commun. On peut faire confiance à l'Élysée pour enfoncer un coin dans un mur syndical qui ne tient, somme toute, que par le ciment assez lâche du refus pur et simple de la réforme projetée. Pas celui d'une proposition alternative partagée.
Enfin, les sondages maintiennent, contre vents et marées protestatrices, une opinion majoritaire en faveur de la mesure phare de la réforme : la retraite légale repoussée à 62 ans à l'horizon 2018. De fait, les Français ont intégré, bon gré mal gré, avec fatalisme ou irritation, qu'ils ne pouvaient s'installer dans un déni démographique un peu suicidaire. Dont acte, cela vaut aussi pour les syndicats.
Il reste que l'obstacle principal au train de la mobilisation se trouve à l'Élysée. Le Président a certes de bonnes raisons de lâcher du lest, ne serait-ce que pour ne pas injurier l'avenir. Au-delà des retraites, il aura bien besoin des syndicats pour gérer aussi sereinement que possible les lourds dossiers qui suivent - dépendance, assurance maladie - comme il a eu besoin d'eux pour gérer la crise.
Il n'empêche. Nicolas Sarkozy a encore de bien meilleures raisons de ne pas céder sur l'essentiel : le recul de l'âge légal. D'abord des raisons de contraintes extérieures. Bruxelles et les marchés tout puissants réclament avec impatience que la France remette ses comptes publics d'aplomb. Faute de quoi elle se mettra(it) bientôt à portée de tir (meurtrier) des agences de notation.
Des raisons de pure politique aussi. Après les avatars de l'été - immigration, Roms, sécurité... - le dossier des retraites est une superbe opportunité pour Nicolas Sarkozy de se refaire une santé en ressoudant sa majorité autour de sa fermeté. De décrocher le brevet de bravoure dont il rêve pour entamer la prochaine campagne présidentielle. Passer le pont de la réforme sous la mitraille syndicale, avec plus de deux millions de manifestants, ce n'est d'ailleurs plus un fantasme, c'est déjà une réalité.
Le Président a aussi un argument bien plus fondamental, à l'aune de l'intérêt général, de ne pas céder à la rue. C'est que le statu quo et l'immobilisme qui se cachent parfois derrière les postures progressistes affichées, est intenable. Si Nicolas Sarkozy rompait avec l'ardente obligation d'une réforme, il ne saperait pas seulement son avenir politique immédiat. Il serait coupable de non-assistance à système de retraite par répartition en danger de mort.
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