TOUT EST DIT

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dimanche 5 décembre 2010

"L'armée seule n'est pas en mesure de maintenir Laurent Gbagbo au pouvoir"

Coupée en deux depuis près de dix ans, la Côte d'Ivoire s'est réveillée avec deux présidents, dimanche 5 décembre. La veille, le président sortant Laurent Gbagbo et son adversaire Alassane Ouattara ont chacun revendiqué la victoire et prêté serment. Jeudi, la commission électorale avait donné Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix contre 45,9 % à Gbagbo. Quelques heures plus tard, le Conseil constitutionnel invalidait ce résultat et donnait Gbagbo vainqueur avec plus de 51,45 % des voix. Plusieurs scénarios de sortie de crise se dessinent, explique Philippe Hugon, spécialiste de la Côte d'Ivoire, qui redoute un "troisième tour dans la rue".

Laurent Gbagbo a prêté serment samedi au palais présidentiel. Au même moment, son adversaire Alassane Ouattara prêtait serment par écrit. Dans quelle situation se retrouve le pays ?
On se retrouve dans une situation avec deux chefs d'Etat, qui ont chacun prêté serment. Sauf que dans le cas présent, la validité de l'élection de Laurent Gbagbo est extrêmement faible. Le Conseil constitutionnel, qui a renversé le résultat de l'élection pour donner Laurent Gbagbo vainqueur, n'a pas fourni d'argumentaire correspondant aux faits. Les irrégularités évoquées dans quelques bureaux de vote du nord du pays [fief d'Alassane Ouattara] sont réelles, mais il y en a eu également dans le sud. Et en tout état de cause, elles ne suffisent pas à faire passer le score de Laurent Gbagbo de 45 % des voix [selon les résultats de la commission électorale] à 51 %. Les observateurs présents sur place le confirment.
Cette décision n'est donc pas valide, d'autant que la commission électorale a été empêchée de communiquer les résultat dans les délais [mardi soir, des représentants du chef de l'Etat au sein de la commission électorale avaient empêché physiquement l'annonce de résultats partiels, contestant des votes "frauduleux" dans le Nord, tenu par l'ex-rebellion des "Forces nouvelles"]. Il s'agit d'un hold-up électoral. Gbagbo a tenté un coup de force en prêtant serment, auquel Ouattara a répondu par un autre coup de force en prêtant serment à son tour pour ne pas se laisser distancer.
Il y a déjà eu des précédents dans l'histoire africaine, notamment à Madagascar, au Zimbabwe ou au Kenya. Dans ces deux derniers cas, l'opposant s'était retrouvé premier ministre. Mais cette solution est totalement exclue en Côte d'Ivoire. Ouattara ne sera pas le premier ministre de Gbagbo.
Quels sont les scénarios possibles de sortie de crise ?
Il y a trois possibilités. Un compromis diplomatique avec une médiation de l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki, qui vient d'être nommé médiateur de l'Union africaine en Côte d'Ivoire, et est arrivé dimanche à Abidjan. Mais il me semble difficile d'y croire. Laurent Gbagbo a réalisé un coup de force, et on ne voit pas pourquoi il reviendrait en arrière.
Sans compter que la précédente médiation de Thabo Mbeki en Côte d'Ivoire [de 2004 à 2006] s'était soldée par un échec. [L'ancien président sud-africain avait arraché un accord proclamant la "fin des hostilités" entre les "Forces nouvelles" et l'armée régulière, qui était resté lettre morte. Accusé par les rebelles du nord d'être un "partisan acharné" de Laurent Gbagbo, il s'était vu retirer le dossier en octobre 2006].
Une deuxième possibilité serait un embargo international qui déboucherait sur la mise au banc de la Côte d'Ivoire par la communauté internationale. Enfin, l'hypothèse que tout le monde redoute : un troisième tour dans la rue avec une nouvelle flambée de violence [plusieurs centaines d'Ivoiriens se sont déjà réfugiés au Liberia voisin par crainte que la situation dégénère].
Gbagbo bénéficie du soutien de l'armée, Ouattara de celui de la communauté international. De quel côté penche le rapport de force ?
Laurent gbagbo n'a aucun soutien, il est totalement isolé [seuls deux pays étaient représentés à sa prestation de serment : l'Angola et le Liban]. Le soutien de la communauté internationale et de l'Union africaine à Alassane Ouattara est logique. L'écart de voix est tel [54,1 % pour Ouattara contre 45,9 % pour Gbagbo] qu'il n'y a aucun débat possible sur la validité de l'élection de Ouattara. Si l'écart avait été plus faible, l'union africaine aurait peut-être été plus prudente.
Certes, Laurent gbagbo a reçu l'armée dès sa prestation de serment et celle-ci le soutient. Mais le pays est coupé en deux. L'ex-rebellion du nord du pays, les "Forces nouvelles" du premier minitre Guillaume Soro [qui a reconnu la victoire de Ouattara] peuvent intervenir à tout moment. On peut donc craindre des affrontements entre les forces armées du nord et du sud, que la communauté internationale tente justement d'éviter depuis bientôt dix ans (Lire : "Les ingrédients de la crise"). L'armée seule n'est pas en mesure de maintenir Gbagbo au pouvoir.

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