En regroupant de 15 à 20 % de la recherche française, ce site de la région parisienne va-t-il devenir un pôle d'innovation d'envergure mondiale ? L'Elysée a relancé ce projet à 4 milliards d'euros. Et la communauté scientifique semble prête à suivre.
Ce 24 septembre, le plateau de Saclay est en ébullition. Nicolas Sarkozy a décidé de s'inviter une nouvelle fois pour réaffirmer, lors d'une visite éclair, toute l'importance qu'il accorde à la création d'un campus de classe mondiale sur ces vastes terres agricoles situées à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. Un projet élevé au rang de "chantier présidentiel" et suivi de près, à l'Elysée, par le secrétaire général, Claude Guéant, et le conseiller scientifique Bernard Belloc. "Ici se joue exactement une partie de l'avenir de la France", conclut solennellement - et à juste titre - Nicolas Sarkozy, après avoir officialisé l'arrivée de nouvelles grandes écoles, toutes plus prestigieuses les unes que les autres : Centrale, ENS Cachan, Mines-Télécoms, AgroParisTech, Ensae... Lesquelles rejoindraient le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), le CNRS, Polytechnique, Supélec, ou encore HEC... Excusez du peu!
Faut-il enfin y croire? Voilà plus de cinquante ans que l'idée de faire émerger une cité scientifique à Saclay chemine en vain. Au fil des décennies, les velléités des différents gouvernements n'ont abouti qu'à des transferts au coup par coup - et dans la douleur ! - d'établissements certes illustres mais isolés les uns des autres. Si bien que le plateau demeure un étrange no man's land, occupé de-ci, de-là par des "bâtiments bunkers", des lotissements sinistres perdus dans un milieu hostile et repliés sur eux-mêmes. L'inverse des campus à l'anglo-saxonne, où il fait si bon vivre.
Surtout, il y a de l'argent à la clef. Beaucoup d'argent. Près de 3 milliards d'euros au total, entre la manne du plan campus de Valérie Pécresse, le "milliard Saclay" du grand emprunt, que le président de la République a directement fléché sur l'opération, et d'autres fonds qui seront attribués sur appels d'offres. Bref, toutes les bases d'un vrai départ.
Autre élément favorable: le milieu de la recherche, longtemps connu pour ses cloisonnements, a amorcé sa mue. L'heure est à l'"interdisciplinarité", aux frottements entre disciplines jugées propices à l'innovation. Et les rapprochements s'opèrent. A Saclay, ce mouvement a conduit pas moins de 23 acteurs (2 universités, 10 grandes écoles, 6 organismes de recherche, 1 pôle de compétitivité, etc.) à se réunir au sein d'une Fondation de coopération scientifique. C'est elle qui a permis à ses membres de décrocher la plus grosse dotation du plan campus: 850 millions d'euros ! Et tous promettent de continuer à jouer collectif.
"L'intérêt prodigieux de Saclay, c'est que nous travaillons tous main dans la main", témoigne Paul Vialle, président de la fondation. Poussant plus avant la logique d'intégration, celle-ci prendra bientôt ses décisions à la majorité - et non plus à l'unanimité - avec pondération des voix selon le poids des acteurs. Une avancée majeure.
Les conditions semblent donc réunies pour créer à Saclay un ensemble inédit en France... à tel point qu'on peine à le nommer ! Il ne s'agit ni d'un simple campus universitaire ni d'une Silicon Valley ; il s'agit plutôt d'un pôle d'excellence scientifique situé à la croisée des mondes de la formation, de la recherche et de l'innovation et ouvert sur son territoire. Une "cluster cité", tente Pierre Veltz, président de l'établissement public d'aménagement. D'ici à 2020, le plateau pourrait ainsi réunir de 15 à 20 % de la recherche française et exceller dans des domaines aussi variés que les sciences dures (physique, chimie, nanotechnologies), l'ingénierie, les technologies de l'information, la santé-biologie ou l'énergie et le climat. Une concentration exceptionnelle... qui effraie.
"Saclay ne doit pas être un bunker qui se suffit à lui-même", avertit Jean-Louis Missika, adjoint (PS) au maire de Paris, chargé de l'innovation et de la recherche. Les dernières annonces présidentielles ont passablement irrité Bertrand Delanoë, qui assure avoir été mis devant le fait accompli. "Si, pour financer leur déménagement, les écoles en venaient à vendre leurs locaux à des promoteurs prompts à les convertir en spas ou en résidences de luxe, on serait alors chez Ubu roi !" alerte Jean-Louis Missika. L'hôtel de ville l'assure: il usera de tous les moyens en sa possession pour maintenir la vocation universitaire des bâtiments.
Les détracteurs du projet Saclay avancent d'autres arguments. Selon eux, l'opération cultiverait à l'excès le culte de l'excellence au détriment du reste de la science et ferait la part trop belle à la valorisation économique. "L'Etat suit un raisonnement de court terme, martèle Isabelle This-Saint-Jean. Ce serait une grave erreur que d'abandonner une recherche fondamentale désintéressée." A demi-mot, certains pointent du doigt le CEA, qui ferait tout pour attirer à lui les jeunes thésards dont il a besoin, afin de négocier le grand virage des énergies alternatives au nucléaire. "Si nous sommes des forces de proposition, c'est au profit de l'intérêt collectif", se défend Yves Caristan, directeur du site de Saclay du CEA.
Tous les espoirs se portent donc sur le fameux métro automatique à grande vitesse imaginé par l'ancien secrétaire d'Etat au Développement de la région capitale Christian Blanc, et repris à son compte par le président de la République. "On ne peut pas faire un campus moderne et être à plus d'une demi-heure du centre de Paris", a rappelé Nicolas Sarkozy lors de sa venue, en confirmant la réalisation de la boucle Versailles-Saclay-Massy du métro, la plus éloignée de la capitale. "C'est celle qui sautera la première !" pronostique Jean-Paul Huchon, président (PS) du conseil régional d'Ile-de-France. En cause : son coût (4,8 milliards d'euros pour 36 kilomètres) et la faiblesse estimée de son trafic (de 6 000 à 8 000 voyageurs seulement sur ce tronçon aux heures de pointe). Et quand bien même sa construction irait à son terme, l'inauguration ne pourrait intervenir avant... 2023. Soit de cinq à huit ans après l'arrivée des nouvelles écoles sur le plateau.
Malgré tout, la petite équipe missionnée par l'Etat travaille d'arrache-pied. "La réussite du campus passe par son aménagement et le ménagement du territoire", indique joliment Pierre Veltz. Pour éviter les erreurs du passé, il faudra construire dense, mutualiser les espaces, mêler les fonctions universitaire, économique et urbaine, préserver l'environnement... Autrement dit, faire émerger un lieu de vie, avec des laboratoires, des entreprises, des facs, certes, mais aussi avec des bistrots et des terrasses. Un défi jamais relevé à cette échelle. C'est pour cette raison qu'il a été décidé d'y transférer la majeure partie de l'université Paris XI, avec ses 15 000 étudiants et ses 4 000 salariés. Un choix audacieux... et coûteux, puisque l'addition s'élève à plus de 1,1 milliard d'euros.
On le voit : la feuille de route est redoutable. Mais l'enjeu est de taille. Diverses études ont montré que, mieux organisé et imbriqué avec le secteur privé, le potentiel scientifique et technologique rassemblé aujourd'hui à Saclay pourrait entraîner la création de dix fois plus d'emplois. Déjà, de nouvelles entreprises lorgnent du côté du plateau. EDF va y transférer sa direction de la recherche. Et Total finalise un projet d'implantation dans le domaine des cellules photovoltaïques à couches minces... A la Fondation de coopération scientifique, on espère susciter la création de 100 jeunes pousses par an à partir de 2015.
Si les collectivités locales finissaient par apporter, comme espéré, environ 400 millions d'euros, l'équilibre financier ne serait d'ailleurs toujours pas atteint. "Beaucoup d'écoles se bousculent au portillon, mais il va falloir faire des choix", reconnaît Pierre Veltz. Son espoir ? Engager suffisamment le mouvement pour créer une impulsion irréversible, afin de hisser le plateau parmi les 10 premiers campus du monde d'ici à 2020. Et imposer "Paris-Saclay" comme une marque mondiale, à l'image du MIT, d'Oxford ou de Stanford. Un sacré défi.
2020 Le plateau devrait regrouper 68 000 personnes, dont 12 000 chercheurs et enseignants, et plus de 30 000 étudiants. Soit de 15 à 20% de la recherche française.
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