C’est un soupçon qui s’insinue dans la République, que des Français sont morts à Karachi en mai 2002 par la faute de nos gouvernants, victimes d’une corruption qui aurait mal tourné. Il n’y a rien de pire que le soupçon, quand il transforme sans preuve des politiques en criminels malgré eux, quand il arrache le cœur des enfants des victimes (1), stupéfaits de ne trouver que l’évitement ou la lâcheté.
Vendredi, Michel Mercier, néo-garde des Sceaux et prétexte centriste, a apporté sa contribution à l’écœurement. Il n’interviendrait jamais dans une instruction judiciaire, bredouillait-il sur Europe 1, interrogé sur les demandes de levée du secret-défense réclamées par les familles des victimes. Ce formalisme masquait deux mensonges. 1. Le secret-défense, opposé aux enquêteurs de l’affaire de Karachi, ne dépend que de la volonté politique pour être modulé. 2. Le juge Van Ruymbeke, qui enquête sur d’éventuelles corruptions, y compris politiques, dans le contrat d’armement pakistanais, mène une instruction en sursis, sous la menace d’un appel du parquet. En refusant d’ordonner au parquet, dont il est le supérieur, de laisser Van Ruymbeke opérer, en refusant de souhaiter la levée du secret-défense, le ministre Mercier participe à l’étouffement. Ponce Pilate rembourse sa nomination.
Soyons précis. On ne sait pas si de l’argent opaque, né du contrat pakistanais, a nourri la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995, dont Nicolas Sarkozy était le premier lieutenant ; on ne sait pas si Jacques Chirac et Dominique de Villepin, en asséchant après leur victoire les intermédiaires de ce contrat (par vertu ou par revanche politicienne), ont provoqué un attentat. On sait simplement que les enquêtes – sur la corruption possible, et sur ses conséquences – butent sur un Etat cadenassé. Paradoxe : les secrets et les dénégations n’empêchent pas des protagonistes d’accuser et leurs accusations de fuiter. Les piteuses défenses de l’Etat renforcent la vertu de quelques journalistes (2) et la rage des victimes, et forgeront peut-être la conviction populaire: tant de précautions doivent bien cacher quelque chose. Le pire?
C’est une affaire du sarkozysme, peut-être, que le Président a eu tort de qualifier un jour de "fable", même de bonne foi. La fable vit et le soupçon s’impose, faute d’enquête sans entrave. C’est une affaire française, nouvelle illustration de notre débilité démocratique. La France est un pays où l’Etat vend ou fait vendre des armes et s’en est sali les mains ; où le gouvernement contrôle une partie de la justice ; où les politiques entretiennent une conception hautaine d’un Etat hors de tout contrôle ; où un même pouvoir peut être à la source d’un scandale et superviser sa résolution. L’anomalie française n’est pas née de Nicolas Sarkozy. Mais par contraste, on se souvient qu’il portait l’espoir d’une république libérée. Fatalité ? Il ne reste, parfois, que le poison des doutes.
2. Le Contrat, Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, Stock.
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