Plus on est sur le recul, plus on parle fort pour donner le change. La surchauffe syndicale qui accompagne la décrue avérée du grand mouvement social contre la réforme des retraites obéit évidemment à cette règle des sorties de conflit. Elle ne s'y réduit pas, loin s'en faut.
Les syndicats ont perdu la bataille politique des retraites, personne ne peut (faire) croire le contraire, sauf à pratiquer une indécrottable langue de bois. Paradoxalement pourtant, ils sortent de l'affrontement avec de solides arguments pour l'avenir. Une unité raisonnée qui ne rime pas avec uniformité. Une capacité à mobiliser massivement dans la durée, qu'on ne leur soupçonnait pas. Une aptitude un peu nouvelle à proposer, pas seulement à dire non. Une faculté inédite, aussi, à maintenir les éléments parasites (politiques ou autres) à bonne distance. Et peut-être surtout une légitimité à représenter une forme d'intérêt général, au travers d'un soutien majoritaire et inattendu de l'opinion. Bref, les syndicats ont fait un gros plein de crédibilité.
Ces forces emmagasinées sont parfois fragiles, les premiers craquements de l'unité intersyndicale en témoignent. Il n'empêche, elles rendent difficile la reconstruction de la concertation sociale et de la démocratie du même nom. Il ne suffira pas de passer d'un Premier ministre « père la rigueur » à un chef du gouvernement « estampillé social » pour dissoudre l'énorme contentieux accumulé. Privés de négociation sur les retraites, donc de tout acquis imputable à leur action, les syndicats se sont sentis bafoués dans leur légitimité, et un rien dévalorisés dans leur isolement contraint. Ils iront forcément à reculons aux prochaines concertations. D'autant que c'est une nouvelle soupe amère qu'on risque de leur proposer sur les dossiers à venir.
Le financement de la dépendance passe nécessairement par de nouveaux sacrifices, y compris cette fois pour les retraités. Le sauvetage de la Sécurité sociale, en aucune façon assuré par les dernières mesures gouvernementales, relève d'une chirurgie lourde que l'on ne pourra longtemps différer, obligatoirement douloureuse.
Le pire est rarement sûr. François Chérèque a opportunément ouvert une passerelle de dialogue sur l'emploi des jeunes, sujet essentiel en France. Le Medef a saisi la balle au bond, tant mieux. Le gouvernement a, là, une chance un rien « téléphonée », mais bien réelle, de recoller un peu les morceaux. Pour peu qu'il accepte de respecter les règles qu'il a lui-même édictées, en laissant les partenaires sociaux défricher eux-mêmes le sujet avant de légiférer.
En a-t-il sincèrement la volonté ? Après le traitement à la hussarde du dossier des retraites, c'est une question cruciale au coeur d'un débat plus vaste. Quelle est la place réelle de la démocratie sociale face à la démocratie politique ? La logique d'affrontement, typiquement française, qui prévaut, aujourd'hui, de part et d'autre n'est ni satisfaisante ni saine. Elle mène à un douteux et dangereux débat entre la légalité et la légitimité, à l'illusion dangereuse de croire aussi parfois, depuis le précédent du CPE, que la rue peut défaire ce que la loi a fait. Redéfinir la place de la démocratie sociale sur des bases plus claires, la réarticuler à la démocratie politique sur des fondements incontestables, n'est peut-être pas une urgence. C'est une nécessité.
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