TOUT EST DIT

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dimanche 17 octobre 2010

Jacques Attali: "Un chemin pour trois présidents de la République"

Le président la commission pour la libération de la croissance a remis son second rapport hier à au président de la République. Entretien avec Jacques Attali.


Dix années de rigueur, de réformes et plus de justice sociale. Voilà le programme présenté avant-hier à Nicolas Sarkozy par Jacques Attali, au nom de la Commission pour la libération de la croissance. Un rendez-vous en tête à tête, à l’opposé du cérémonial de janvier 2008 et des vifs débats qui avaient suivi avec l’UMP. Le chef de l’Etat a souligné dans un communiqué les "convergences" avec la politique du gouvernement pour réduire les déficits.
Depuis votre premier rapport, remis en janvier 2008, la France a connu sa plus sévère récession d’après-guerre. La crise a-t-elle changé votre analyse?
Elle rend plus urgente encore la mise en œuvre de réformes structurelles. Mais la situation est plus difficile car nos finances publiques se sont détériorées. Si nous ne faisons rien, la dette publique atteindra 120 % du PIB dans moins de dix ans. La France va perdre le contrôle de sa politique économique, accuser un chômage à deux chiffres et des inégalités aggravées. Il faut donc mettre un coup d’arrêt à la dette sans casser la reprise. Notre rapport ne prône pas l’austérité. Le désendettement est aujourd’hui un moteur de la croissance aux côtés de trois autres : l’emploi, la formation et l’économie durable. Il faut les allumer en même temps, ne pas faire tourner l’un au détriment de l’autre.
La réduction de la dette est pourtant une priorité affichée par tous les gouvernements depuis plusieurs années. Quel est l’apport de votre commission?
Nous proposons un chemin sur dix ans, pas uniquement pour le budget 2011, comme s’y attache le gouvernement, qui est dans son rôle. Ce chemin protège les dépenses d’avenir et évite les hausses générales de taux d’imposition. Surtout, la commission aboutit à cette proposition dans le respect et le partage des opinions : elle comprend des membres proches des syndicats, d’autres associés au patronat. Il est donc possible de trouver un compromis en France entre des personnalités d’horizons différents.
Quels sont les efforts à fournir, selon vous?
Pour infléchir la dette publique vers 60 % du PIB en 2020, il faut limiter le déficit à 3 % en 2013 et viser un retour à l’équilibre en 2015-2016. Cela suppose 75 milliards d’euros d’économies et de recettes nouvelles sur les trois prochaines années, à condition que la croissance atteigne 2 % l’an. S’agissant de la fiscalité, qui compte pour 25 milliards d’euros dans ce calcul, nous proposons de revoir les niches fiscales, l’imposition des plus-values, les droits de succession, le tout hors bouclier fiscal. Les héritages et les rentes doivent être taxés afin que le capital soit encouragé à circuler, c’est une condition de la croissance. Nous pensons aussi que la justice sociale est la condition première de l’efficacité de l’action publique. Notre rapport doit permettre à chacun de dire, au bout du compte, si les efforts promis par les gouvernants sont à la hauteur de ces enjeux.
Le sont-ils aujourd’hui à travers les projets de loi de finances?
Le compte semble y être pour l’Etat mais je ne me prononce pas sur le caractère juste ou pas des mesures annoncées. S’agissant de la Sécurité sociale, il faudrait des mesures plus fortes pour améliorer la gestion de notre système de santé et concentrer les dépenses sur ceux qui en ont le plus besoin. Pour les collectivités locales, je crains que les budgets ne soient pas assez maîtrisés.
Sur l’actuelle réforme des retraites, votre commission est critique…
Nous disons qu’il est urgent d’agir. L’augmentation du temps consacré à la vie professionnelle est une donnée inéluctable en raison de l’allongement de l’espérance de vie. Il faut traiter le problème des carrières longues et de la pénibilité. Au-delà de 2020, nous préconisons un régime fondé sur le libre choix et l’universalité. Les Suédois l’ont fait avec des comptes individuels. Cela préserverait le système par répartition et clarifierait les choix des salariés.
Vous estimez que 60 % des propositions de votre premier rapport sont mises en œuvre. Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein?
Un tiers de mesures ont été entièrement mises en œuvre, un autre tiers partiellement. Certains ont cru que le rapport avait été enterré avec une grève des taxis… Mais l’autonomie des universités, le statut d’auto-entrepreneur, la réforme de la concurrence, la rupture conventionnelle du contrat de travail, l’action pour l’environnement, les projets du grand emprunt etc. étaient dans le premier rapport et sont entrés dans les faits. Une seule mesure doit être modifiée, la réforme du système bancaire. Nous parlions de rapprocher la France des standards internationaux. Aujourd’hui, ces standards doivent être changés.
Avez-vous des regrets?
Nous avons préconisé la suppression des départements. Je suis inquiet de voir que la réforme en cours semble plutôt les renforcer. Je fais le même constat sur l’efficacité de l’Etat. Nous avons proposé la simplification des textes, de l’administration, de la gestion publique…
Vous souhaitez que toutes les mesures soient prises en même temps, dans leur ensemble. Mettez-vous à nouveau le gouvernement en garde contre la tentation de "picorer" - c’était votre expression - dans le rapport?
Le pouvoir politique fait ce qu’il veut. Mais nos propositions forment un tout. Regardez la "flexisécurité". Mettre en œuvre la rupture du contrat de travail à l’amiable, c’est bien. Renforcer les droits des chômeurs en même temps, c’est mieux. Sinon, vous avez la "flexi" mais pas la "sécurité". Quand un médecin fait une ordonnance, il préconise de prendre tous les médicaments sinon les effets du traitement ne sont pas garantis.
Comment allez-vous assurer le suivi de vos propositions?
Nous traçons un chemin pour trois présidents de la République, d’aujourd’hui à 2020. La campagne présidentielle sera une occasion pour la commission de s’exprimer sur les programmes des candidats. Si l’on nous interroge, nous répondrons. Sur le plan institutionnel, je crois qu’une autorité devrait avoir pour mission de s’exprimer au nom des générations suivantes, c’est le critère qui nous a guidé. Pourquoi pas le Conseil économique et social ? Ce pourrait être aussi une commission permanente auprès du Parlement.

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