Il est des crises salutaires, qui font avancer les dossiers, les débats, la construction européenne. Il en est d'autres dont on ferait volontiers l'économie, tant elles ont pour principal effet de brouiller les cartes, de froisser les sensibilités et de générer des dérapages verbaux tristement révélateurs. Celle qui oppose, depuis quelques jours, Paris et Bruxelles sur la délicate question des Roms fait malheureusement partie de ces dernières.
Consacré initialement à deux enjeux cruciaux pour les mois à venir ¯ la gouvernance économique et la toute naissante diplomatie européenne ¯ le Conseil Européen d'hier aura surtout été dominé ¯ monopolisé regrettaient certains ¯ par les joutes verbales entre la Commission et la France. Selon David Cameron, le déjeuner a donné lieu à quelques échanges « animés », comprendre un peu musclés. Signe de la difficulté de clore l'incident.
Malvenue, cette crise l'est à plus d'un égard. Sans avancer d'un pouce sur une approche européenne de la situation des Roms, le clash franco-bruxellois a tout d'abord isolé la France sur la scène européenne. La presse continentale était, hier, sans concession, voire cinglante comme le pourtant peu gauchiste Financial Times. Seul Silvio Berlusconi a ouvertement soutenu Paris, ayant, il y a deux ans, pratiqué la même politique, sous l'instigation notamment de ses partenaires de la Ligue du Nord, peu regardants en matière de respect des minorités.
Les autres partenaires de la France n'ont pas caché un certain malaise. L'Allemagne et la Grande-Bretagne ne récusent aucunement à Paris le droit de faire régner l'ordre et de démanteler des campements illicites, mais elles pouvaient difficilement cautionner des attaques visant le rôle même de la Commission. Le Luxembourg, la Belgique ou l'Autriche ont fait comprendre leur agacement, face au traditionnel travers français de considérer les « petits » pays comme quantité négligeable et de le dire. Comme une boule de bowling percutant plusieurs quilles, le dossier des Roms vient ainsi de dépasser largement la recherche d'ordre et de consensus électoral visée initialement.
Le dommage est multiple, car ce Sommet européen était censé permettre à Nicolas Sarkozy de présenter ses priorités pour la présidence du G8 et du G20, que la France va assurer à partir de novembre prochain pendant un an. Dans cette perspective, la cohésion européenne était un gage de succès de la présidence française. Elle n'est pas compromise, mais le télescopage de l'affaire des Roms en a brisé l'élan.
Plus généralement, cette crise est aussi malvenue dans le climat plus général de xénophobie rampante, d'élans populistes et de réflexes nationalistes que l'on constate dans plusieurs pays de l'Union. Notamment en Europe centrale. Les plus récentes enquêtes d'opinion et les scrutins électoraux le confirment. La contribution de la France ne paraissait pas vraiment indispensable.
Enfin, au sortir de ce sommet, la complexité du dossier Roms est intacte. D'autres pays continuent à pratiquer, sans le claironner, des expulsions. La Roumanie n'a pas changé d'attitude à l'égard de cette communauté. Tout le monde peut convenir aisément de la nécessité d'une approche européenne pour concilier les exigences d'ordre et le respect des minorités. Cela exige, au moins, une concertation apaisée. Il ne sera pas trop tard lors du prochain sommet. Lorsque les humeurs seront retombées.
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