L'intervention, mercredi, de la Banque du Japon pour contrer l'appréciation du yen révèle une absence totale de coopération internationale dans le domaine des taux de change. En dépit des multiples déclarations politiques sur la réalité de la concertation internationale au plus haut niveau, l'action unilatérale japonaise prouve le contraire. Tokyo aurait eu d'ailleurs bien tort de s'en priver, la plupart des gouvernements agissant de la même manière. L'heure de la mobilisation générale au paroxysme de la crise économique et financière semble bel et bien avoir vécu. Au niveau national, les plus hauts responsables politiques ne cachent pas leur amertume. De la « négligence bénigne » pour la valeur du dollar, malgré le sempiternel « un dollar fort est dans l'intérêt des Etats-Unis » de l'administration américaine, à l'intransigeance chinoise opposée à toute revalorisation rapide de sa monnaie en passant par le Japon désireux d'affaiblir sa devise contre toute logique sans oublier la cacophonie européenne sur le niveau souhaitable de l'euro, chacun défend ses propres intérêts. La valse des monnaies reste plus que jamais d'actualité et le chacun pour soi l'emporte. Seul un risque majeur de déstabilisation générale du système monétaire international serait à même de provoquer une nouvelle mobilisation générale.
Pour l'heure, il n'y a donc plus de pilote dans l'avion. Mais plusieurs. Historiquement, les relations entre grandes monnaies étaient régulièrement évoquées dans le cadre des sommets du G7, que ce soit au niveau des ministres des Finances et des gouverneurs de banque centrale ou des chefs d'Etat. Souvenons-nous des accords du Plaza, en septembre 1985, où les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France décident ensemble de déprécier le cours du dollar américain par rapport au yen et au deutsche Mark. Ou des accords du Louvre, deux ans plus tard, lorsque les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et le Canada opèrent de nouveau pour enrayer, cette fois-ci, la baisse du dollar. La dernière coopération sur les taux de change, plus limitée, viendra de la Banque centrale européenne et de la Réserve fédérale américaine pour soutenir l'euro en septembre 2000. Depuis, plus aucune intervention concertée n'a été mise en oeuvre pour corriger les déséquilibres des monnaies. Et pour cause. L'apparition de nouveaux géants économiques, Chine en tête, complique la tâche.
Les dirigeants du G8 ne peuvent plus aujourd'hui décider à eux seuls de gérer le système monétaire international. La crise économique et financière ayant radicalement changé le paysage, le G8 a perdu de ses prérogatives au profit d'un club élargi, le G20. Le sommet des chefs d'Etat du G20 de Pittsburgh en septembre 2009 l'a ainsi officiellement mandaté en tant que « forum prioritaire de la coopération économique internationale ». Sauf que, au sein de ce forum élargi, les questions de change sont abordées du bout des lèvres pour ne pas dire occultées. Certes, le dernier sommet des Vingt à Toronto, en juin dernier, a bien mentionné la problématique des changes. Mais en termes édulcorés. Les leaders se sont seulement engagés à « accroître la flexibilité des changes pour refléter les fondamentaux sous-jacents de l'économie » et ont regretté une « volatilité excessive » et « une variation désordonnée des taux de change », préjudiciables à la stabilité économique et financière. C'est bien peu. Les économistes regrettent que le G20 ne se soit pas plus saisi du problème. Mardi dernier, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), dans un rapport consacré au commerce et au développement, soulignait que « le moment d'une intense coopération internationale sembl[ait] appartenir au passé ». Et d'ajouter que le processus lancé en 2006 par la Chine, les Etats-Unis, la zone euro, le Japon et l'Arabie saoudite pour résorber les déséquilibres commerciaux mondiaux, notamment par un ajustement des taux de change, est un échec. Aucune des politiques qui ont conduit à l'émergence de ces déséquilibres n'a été modifiée. Dans un tel contexte, les chances d'assister à une refonte du système monétaire international et à une intense coopération dans le domaine des taux de change sont minimes. Du moins, tant qu'il n'y aura pas un arbitre reconnu internationalement pour forcer un ou plusieurs pays à revoir sa ou leur stratégie de change et de commerce.
Un renforcement des pouvoirs du G20 et du Fonds monétaire international (FMI) en la matière est donc plus que souhaitable. Il est même possible. Dans les statuts d'origine du FMI, le premier article stipule en effet que les buts du Fonds sont, entre autres, de « faciliter l'expansion et l'accroissement harmonieux du commerce international » et de « promouvoir la stabilité des changes, [de] maintenir entre les Etats membres des régimes de change ordonnés et [d'] éviter les dépréciations concurrentielles des changes ». Dès lors, pourquoi ne pas redonner au FMI sa légitimité première sous l'oeil du G20 pour éviter tout débordement des taux de change ? Pourquoi ne pas constituer grâce aux réserves des banques centrales du G20 un fonds commun géré par le FMI et qui aurait pour but d'intervenir massivement sur le marché des changes sur une devise dont la valeur s'écarterait de son niveau jugé souhaitable au regard de l'évolution de la balance commerciale du pays émetteur de cette devise ? La logique le voudrait. La pratique en décidera sans doute autrement. Malheureusement.
Richard Hiault
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