Dans le monde d'avant la crise, 3,2 milliards de personnes avaient un emploi (on parle ici d'un emploi « formel » au sens du BIT) - une croissance de 500 millions en dix ans, dont la moitié en Asie. Le taux de chômage « mondial », longtemps calé sur 6 %, avait commencé à décliner de 2004 à 2007. Puis la crise a cassé ce dynamisme : aujourd'hui, 210 millions de personnes cherchent un emploi, 30 millions de plus qu'en 2007, dont les trois quarts dans les pays dits « avancés ». Les pires résultats ont été enregistrés par l'Espagne, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis, où 7,5 millions d'hommes et de femmes ont perdu leur job sans en retrouver et, fait nouveau dans ce pays où le marché du travail se caractérise par sa flexibilité, la moitié des chômeurs sont sans travail depuis plus de 27 semaines. S'installe dans ces pays un « chômage structurel ».
Réunis à Oslo, le 13 septembre, le Fonds monétaire international (FMI) et l'Organisation internationale du travail (OIT) se sont alarmés du fait que « cet énorme coût humain » de la crise puisse durer longtemps. Les politiques budgétaires et monétaires de relance sont parvenues à éviter le pire : l'économie mondiale bénéficie d'une reprise même si celle-ci est encore hésitante. Mais l'emploi tarde à revenir dans la très grande majorité des pays. Les exceptions sont rarissimes : l'Allemagne, où le taux de chômage est inférieur à celui du début de crise, et la Norvège.
Les deux organisations notent que certains gouvernements ont mis en place des subventions de plusieurs types pour accélérer la renaissance de l'emploi. Allemagne, Italie et Japon ont, par exemple, massivement aidé l'emploi partiel pour maintenir les salariés dans leur emploi malgré les chutes d'activité. Mais, au total, nous restons loin du rythme de création de 45 millions d'emplois par an dans le monde d'avant-crise alors que 440 millions de jeunes vont se présenter sur le marché du travail dans la décennie qui vient. Les jeunes, même si la reprise se consolide, risquent d'être les premiers sacrifiés de la crise. Ils souffraient déjà d'un taux de chômage double des adultes, il sont 80 millions sans emploi aujourd'hui et beaucoup n'ont pu se nourrir qu'en acceptant un travail informel.
Si FMI et OIT tirent la sonnette d'alarme d'une reprise sans emploi, c'est dans la crainte que s'installe à l'échelle de la planète un chômage chronique (keynésien), un cercle vicieux dans lequel le sous-emploi bride la demande mondiale, qui réduit la production mondiale, sans qu'on en sorte. Cette crise de sous-emploi qu'ont connue individuellement les pays après la crise de 1929, le monde la connaîtrait dans son ensemble après celle de 2008. D'où l'insistance d'Olivier Blanchard, l'économiste en chef du FMI, pour que les pays qui disposent d'excédents commerciaux (Chine, Allemagne…) relancent plus que les autres pour « équilibrer la demande mondiale ». Mais ils soulignent aussi les tensions possibles dans de nombreux pays qui connaissaient des situations déjà tendues avant la crise. La Chine, par exemple, ne créait que 1 % d'emplois net par an alors qu'elle devait absorber un exode rural très pressant.
Ajoutons la France, qui s'est signalée par de piteux résultats sur le marché du travail depuis trente ans. Alors que le pays dépense des sommes record pour l'emploi - un total de 80 milliards d'euros, selon Jean Pisani-Ferry de Bruegel -, le chômage y est déjà fortement structurel, les jeunes y étaient déjà sacrifiés. Comme l'avait avoué François Mitterrand : « On a tout essayé. » La France a additionné les politiques d'emploi en comptant rarement et en n'évaluant jamais : 35 heures, indemnisations, réforme de Pôle emploi, soutien des activités partielles, formation des chômeurs, programmes publics de création d'emplois, allégements de cotisations sociales sur les bas salaires, primes pour l'emploi, exonérations dans les zones franches, etc. Gauche et droite ont été d'accord depuis trente ans, note Pisani-Ferry, pour utiliser l'argent public plutôt que pour réformer le marché du travail.
A l'heure de l'austérité, des députés veulent sacrifier certaines de ces politiques (exonérations des charges). Ils donnent l'impression qu'on va commencer à décharger la barque avec autant de joies du bricolage qu'on l'a chargée. En France, les faibles perspectives de croissance imposent de se doter d'une politique en faveur des créations d'emploi. Formation professionnelle inadéquate, dualisme des CDD et CDI, structure des prélèvements défavorable à l'embauche : la baisse du chômage dépend de vraies réformes devenues incontournables et urgentes.
Eric Le Boucher
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