Comment peut-on repousser l'âge de la retraite alors que près d'un Français sur deux n'occupe déjà plus un emploi avant de prendre sa retraite ? Cette question est au coeur du débat actuel. Loin de traduire un problème de formation ou de coûts salariaux trop élevés, du moins dans la grande majorité des cas, le départ anticipé des seniors de l'emploi est en fait le résultat d'un pacte social implicite entre les partenaires sociaux, le patronat et les syndicats.
Alors que la France possède un taux d'emploi des 50-55 ans relativement élevé, supérieur de 5 points à la moyenne européenne, il se produit un décrochage brutal entre 55 ans et 59 ans. Pourquoi les Français de cette classe d'âge deviendraient-ils subitement inemployables, tandis que les jeunes quinquas résistent mieux que dans les autres pays à l'usure du temps ?
Pour l'essentiel, l'explication tient dans la volonté des partenaires sociaux, de faire des 55-59 ans, la génération la plus proche de la retraite, la variable d'ajustement du marché du travail. Ils ont ainsi mis en place une véritable préretraite, qui n'ose dire son nom, dans notre système d'allocation-chômage : à partir de 57 ans, il est possible d'attendre l'âge du taux plein en étant indemnisé, quelle que soit la durée de chômage. Combien de départs négociés au sein de l'entreprise reposent sur la possibilité d'attendre l'âge de la retraite dans des conditions assez favorables ? Plus qu'un frein au retour à l'emploi, ce système accélère les sorties de l'emploi car la paix sociale dans l'entreprise, au moment d'une baisse des effectifs, passe par le départ des seniors.
Il est grand temps de sortir de la culture de la préretraite. Cela passe, aujourd'hui, par une normalisation du régime d'indemnisation-chômage des seniors. Il serait particulièrement incohérent et inefficace de vouloir reculer l'âge légal de la retraite sans chercher à augmenter parallèlement l'âge de cessation d'activité. Reste à en convaincre les partenaires sociaux. De ce point de vue, la logique d'affrontement actuelle sur la fin programmée de la retraite à 60 ans augure mal des futures négociations avec les syndicats. C'est pourquoi, il aurait été préférable que le gouvernement privilégie l'augmentation de la durée de cotisation, réforme des retraites jugée acceptable par les syndicats modérés, pour pouvoir demander, comme contrepartie, cette normalisation du régime d'allocation-chômage. Encore une occasion de dialogue social manquée...
Il est à craindre qu'en dernier ressort, le gouvernement ne doive dessaisir les partenaires sociaux de leurs prérogatives pour assurer cette normalisation. La cohérence d'ensemble de la stratégie de recul de l'âge de la retraite est à ce prix. Rien ne serait pire que maintenir l'âge de la préretraite autour de 57 ans, alors que l'objectif est clairement de travailler au moins jusqu'à 62 ans.
Jean-Olivier Hairault
Professeur d'économie à l'université de Paris I. A participé à l'ouvrage collectif 16 nouvelles leçons d'économie contemporaine, édit. Albin Michel.
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