TOUT EST DIT

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mardi 14 septembre 2010


Oui, les économistes ont un avenir…

Un champ de ruines… Voilà à quoi ressemble la science économique deux ans après la faillite de la banque Lehman Brothers, point culminant d'une crise encore inachevée. Une crise où les économistes ont une lourde responsabilité, car ils avaient encouragé par leurs analyses une foule de décisions et d'attitudes fondées sur une idée simple mais fausse : le marché laissé à lui-même est toujours le meilleur outil pour parvenir au meilleur équilibre. Depuis, on ne compte plus les débats sur leur (in)utilité. Ni leurs citations avouant leur aveuglement, leur complaisance ou leur propre crise systémique.

Pourtant, il y a encore des congrès d'économistes. Et, dans ces congrès, on peut même trouver des éclairages précieux. C'était le cas des deux conférences données vendredi lors du colloque de l'Association française de science économique (AFSE), qui regroupe universitaires et chercheurs des institutions publiques ou privées. Roger Guesnerie, professeur au Collège de France, a posé un diagnostic pour le coup sans complaisance. Il décrit une science balkanisée, travaillant sur des hypothèses erronées. « Les économistes écrivent des modèles qui leur font plaisir mais qui sont irréalistes » - un travers encore présent dans certains travaux présentés au colloque. L'homme est certes rationnel, comme le supposent la plupart des chercheurs, mais cette rationalité bute sur des limites. C'est vrai dans nos décisions comme dans nos anticipations. Or l'hypothèse « incroyable » des anticipations rationnelles a été au coeur de l'appareillage qui s'est imposé depuis la fin des années 1960, et qui avait disqualifié l'action publique. A l'ère de John Maynard Keynes, des années 1930 aux années 1960, a succédé celle de Milton Friedman, des années 1970 jusqu'à la fin des années 2000. La catastrophe montre qu'il est temps de passer à autre chose.

André Cartapanis, professeur à Sciences po Aix et président de l'AFSE, a justement expliqué qu'il y a une vie au-delà du champ de ruines. Il suffit de regarder vers des auteurs jusque-là considérés comme relevant de la vieillerie ou de l'hérésie. Il y a en fait trois lignées de chercheurs à suivre pour comprendre ce qui s'est passé. D'abord, les historiens, comme Charles Kindleberger ou tout récemment Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart. Leurs travaux montrent comment, maintes fois dans l'histoire, un excès de confiance a entraîné, dans un climat souvent propice à la déréglementation, une sous-évaluation du risque, une flambée du crédit et un emballement de la dette débouchant sur un krach.

Ensuite, les théoriciens de l'instabilité. Dès 1802, le Britannique Henry Thornton avait théorisé la contagion bancaire et la crise de liquidité : « Si la défiance vient à se répandre, la prudence veut qu'on néglige le petit bénéfice d'un intérêt de quelques jours et qu'on ait sa provision de billets de banque prête, pour faire face au moment nécessaire. » Un siècle plus tard, le Suédois Knut Wicksell a analysé le « processus cumulatif » qui se développe dans la finance, amplifiant les booms et les chutes. Keynes, lui, affirmait que « le risque d'une prédominance de la spéculation tend à grandir à mesure que l'organisation des marchés financiers progresse ». Plus récemment, des chercheurs, dont Roger Guesnerie, ont montré comment la spéculation pouvait être déstabilisatrice. Troisième lignée : ceux qui jettent des ponts entre économie et finance à l'échelon global, en décortiquant les liens entre comportements individuels et risques collectifs. Le Français hétérodoxe Michel Aglietta mène ici les travaux les plus passionnants.

Les économistes vont maintenant devoir rassembler ce que Willem Buiter, un ancien de la Banque d'Angleterre devenu « chief economist » de la banque Citigroup, appelle ce « pot-pourri » de théories, où l'on pourrait rajouter les « esprits animaux » de George Akerlof et Robert Shiller. La « macrofinance » naîtra de la « grande récession » comme la macroéconomie était née de la Grande Dépression. Une macrofinance articulée à la macroéconomie, dans laquelle s'inscriront naturellement les réglementations macroprudentielles qui émergent dans le cadre du G20 et d'autres organismes. Mais ça ne suffira pas. Pour expliquer le monde, pour le faire mieux tourner, pour devenir presque aussi utiles que les dentistes cités en exemple par Keynes, les économistes devront aussi faire preuve d'une qualité qui ne les a pas étouffés jusqu'à présent : l'humilité, devant les hommes et devant les faits.



Jean-Marc Vittori

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