TOUT EST DIT

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mardi 14 septembre 2010


Retraites : les syndicats sur un chemin trop étroit

Des cortèges très impressionnants, la France au ralenti, le pic de contestation contre la réforme de 2003 au moins égalé, une rentrée sociale aussi chaude que précoce et même François-Marie Banier qui défile… On pourrait conclure, après le coup de force syndical de mardi et avant le deuxième round jeudi 23 septembre, que le bras de fer sur la réforme des retraites est totalement relancé. On pourrait, comme les syndicats, évoquer un « tournant » et assurer que « rien n'est joué ». On pourrait. Mais ce serait probablement une erreur.

Le contraste entre l'ampleur des mobilisations et les gestes limités concédés en réponse est surtout venu confirmer aux syndicats ce qu'ils savaient déjà : les Français s'opposent au projet, mais l'Elysée ne reculera ni sur le passage de 60 à 62 ans de l'âge de départ, ni sur l'équilibre financier global de la réforme.

Politiquement, un recul serait un quasi-suicide pour Nicolas Sarkozy. « Il en fait une réforme emblématique et un marqueur politique en vue de 2012. C'est un vrai problème pour nous », reconnaissent plusieurs leaders syndicaux. Economiquement, des gestes vraiment d'ampleur, sur la pénibilité par exemple, seraient risqués : l'Europe exige des gages solides dans la lutte contre les déficits et cette réforme constitue probablement la dernière chance de sauver le système par répartition.

La plupart des syndicats, réformistes en tête, ont intégré ce constat. Ils savent aussi que le combat de la rue est particulièrement compliqué dans un calendrier aussi resserré. Ce n'est pas une, mais trois ou quatre mobilisations monstres qu'il leur faudrait pour reprendre totalement voix au chapitre. Pas impossible mais presque en si peu de temps, par inévitable effet d'essoufflement. Et cette fois-ci, contrairement à l'épisode victorieux du CPE en 2006, ils ne pourront pas compter sur les étudiants pour faire toute la différence : la retraite est une préoccupation bien lointaine pour ces derniers et l'Elysée a pris soin de déminer le terrain en maintenant les aides au logement. S'appuyer sur les salariés du privé ? La mobilisation y progresse mais reste loin d'un niveau à même de changer la donne. Les amener à râler à la machine à café contre la réforme est une chose, en pousser un nombre assez important à basculer de la résignation à la contestation active, et durable, en est une autre.

C'est pourquoi en coulisse, derrière les discours combatifs de rigueur, certains cherchent déjà la meilleure porte de sortie possible. Voir l'intersyndicale attendre quinze jours pour remobiliser après un succès comme celui de mardi en dit long. Pour les plus modérés, l'objectif est désormais de remettre le couvert encore une ou deux fois en s'appuyant sur la lancée de mardi pour tenter d'arracher d'ultimes gestes - par exemple sur une plus forte mise à contribution des hauts revenus -puis, très probablement, tourner la page… en attendant 2012. La CFDT ne s'en cache plus vraiment et tous les regards sont désormais tournés vers la CGT.

Ira-t-elle au conflit dur ? Certes, une partie de sa base, dans les transports et la fonction publique d'Etat notamment, milite pour des grandes grèves en brandissant le glorieux souvenir de 1995. Certes, Bernard Thibault affirme ne pas l'exclure, comme quand il explique dans « Le Monde » d'hier qu' « on peut aller vers un blocage, une crise sociale d'ampleur » si l'Etat ne recule pas. Certes, FO et Sud poussent en ce sens et la FSU suivrait le cas échéant. Mais le leader cégétiste est-il vraiment prêt à lancer sa centrale dans ce périlleux exercice ? Rien n'est moins sûr tant il doute encore profondément du succès d'un tel mouvement ; il rechigne à faire le jeu de l'extrême gauche en mettant de l'huile sur le feu ; il préférerait éviter de redonner du poids à sa frange la plus radicale qui le conteste en interne ; il est aussi soucieux de privilégier l'unité avec la CFDT qu'il entretient savamment depuis plus de deux ans.

Seule une poussée particulièrement forte de la base, de l'opinion et des salariés du privé, avec un espoir réel d'arracher alors une victoire historique, pourrait l'amener à revoir cette analyse. Impossible n'est pas français, a fortiori dans le domaine social, mais cela apparaît encore bien improbable.

Si ce scénario devait se confirmer, on pourrait conclure au manque de courage des syndicats. On pourrait crier à leur défaite et souligner leur impuissance. On pourrait. Mais ça serait là une autre erreur.

Même s'ils ne gagnent pas la guerre, leur bataille aura été tout sauf inutile. Tout d'abord parce qu'ils ont déjà arraché des concessions qu'ils n'auraient sans cela pas obtenues et que d'autres gestes pourraient suivre. Ensuite, parce que dans le prolongement des mobilisations contre la crise de 2009, ils ont continué à donner corps et à fournir un cadre d'expression à la contestation de la politique économique et sociale du gouvernement. Enfin, parce que les syndicats, là aussi dans le prolongement des actions de l'an passé, ont confirmé leur capacité à dépasser leurs divergences de fond pour agir dans l'unité autour d'un axe CGT-CFDT renforcé.

C'est déjà une vraie victoire pour eux et un changement profond qui pèsera sur le climat et le paysage social bien au-delà de l'épisode des retraites.


Derek Perrotte

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