TOUT EST DIT

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vendredi 6 août 2010

Les mutations de la peur atomique

C'était un nom joyeux. Un nom de femme. Un de ces noms d'avion dont la légèreté tentait d'apprivoiser la cruauté de l'Histoire. Enola Gay. Mais aujourd'hui encore on le prononce avec gêne tant il évoque l'ambiguïté d'une paix payée au prix fort. Comment ne pas éprouver un profond malaise en revoyant les images de cette nuit du 6 août 1945 ? Les sourires de l'équipage du bombardier au moment d'embarquer pour aller larguer LA bombe sur Hiroshima ? Héros pathétiques, ils partaient pour abréger un conflit interminable. Ils avaient dans le cœur la promesse d'une victoire contre la guerre. Ils ne savaient pas qu'ils avaient l'horreur en soute. Ce qu'ils emportaient aussi, c'était une défaite absolue, et durable pour l'humanité. Sous ses volutes radioactives, la beauté hypnotique du champignon surpuissant allait répandre la barbarie à son plus haut degré.
Soixante cinq ans plus tard, les 210 000 morts d'Hiroshima et de Nagasaki hantent toujours la conscience universelle. Partout, les hommes justes s'interrogent encore sur le recours à l'arme totale. Que vaut vraiment l'équilibre de la terreur qu'elle a garanti entre l'Ouest et l'Est pendant un demi-siècle ? Que vaut encore la dissuasion qu'elle continue d'entretenir entre les puissances qui la possèdent ? Faut-il se résigner à ce que la peur régisse pour l'éternité le fragile équilibre du monde ?
Hiroshima est redevenue, depuis bien longtemps, une ville d'apparence « normale », comme d'autres métropoles japonaises. Pour la première fois, les États-Unis, dont l'opinion reste imprégnée par la notion de « mal nécessaire », participera aux commémorations d'une tragédie dont ils ne se sont jamais excusés. Le président Obama a obtenu le prix Nobel pour ses professions de foi sur le désarmement nucléaire. Tous ces signes pourraient donner le sentiment qu'on tourne définitivement la page de cet épisode noir du deuxième millénaire.
C'est à la fois un progrès et une illusion. La planète recèle des dizaines de milliers d'ogives dont une seule suffirait à déclencher la mécanique infernale de son anéantissement. Une poudrière. Le risque est désormais multipolaire, et la prolifération nous met à la merci de la folie d'un Kim Jong Il, d'une duplicité pakistanaise ou des ambitions sourdes d'un Ahmadinedjad. Nous sommes sauvés par la complexité de l'arme... et l'instinct de survie. En espérant que personne n'osera jamais craquer l'allumette.

Olivier Picard

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