TOUT EST DIT

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vendredi 13 août 2010

Les dividendes de la peur

Margaret Chan, directrice de l'Organisation mondiale de la santé, vient de l'annoncer officiellement : la pandémie due au virus grippal H1N1 est terminée. Elle a fait 18 500 morts, quand la grippe saisonnière en provoque 250 000 à 500 000. Mme Chan paraît satisfaite de l'OMS qui, selon elle, n'a pas « surréagi ». Elle a toutefois incité les États à « revoir leurs plans de réponse », précisant qu'« il faudra peut-être plus de flexibilité ». Mme Chan parle d'or...

Elle devrait aussi parler d'argent. En France, on estime que la « bataille » contre l'effroyable virus a coûté un milliard d'euros, plus un second milliard si l'on intègre les dépenses territoriales. À l'heure où les hôpitaux sont terriblement rationnés, où les postes et les lits sont chichement comptés, où l'on fait la queue aux urgences, on est en droit de s'interroger sur le bon usage des finances publiques.

C'est ce qu'a fait, précisément, un rapport du Sénat (troisième rapport parlementaire, mais le plus dense et le plus informé). Il pointe d'abord les défaillances de l'OMS, organisation « politique » et « opaque » dont le financement est à 80 % d'origine privée, soit, directement ou indirectement, l'apport des grands laboratoires. Au demeurant, la composition de son Comité d'urgence était tenue secrète et n'a été dévoilée que le 10 août. Sur seize membres, six ¯ à tout le moins ¯ entretiennent avec l'industrie des rapports ambigus. Le British Medical Journal avait déjà relevé qu'un de ces derniers, le professeur Monto (Université du Michigan), réussit l'exploit de travailler à la fois pour GSK, Novartis, Roche, Baxter et Sanofi. On y trouve les quatre principaux fabricants de vaccins. Mais l'OMS n'y décèle pas de conflit d'intérêts...

Les « sages » du Sénat examinent ensuite le comportement de la France. L'Institut de veille sanitaire y avait prédit jusqu'à 96 000 morts. On en a dénombré 312. Tout le monde peut se tromper. Mais pourquoi les modestes praticiens, eux, ne s'y trompaient-ils point ? Pourquoi, en octobre 2009, l'excellente revue Prescrire (qui a pour originalité d'être financièrement indépendante) mettait-elle en garde contre une surestimation manifeste, et contre « des actions préventives aux conséquences démesurées » ? Bref, pourquoi une logique, et une seule, a-t-elle prévalu, quand les faits incitaient à la réflexion et à la souplesse ?

Il y a pire. Nous avons commandé 94 millions de doses, facturées quelque 670 millions d'euros. Tout le monde peut se tromper. Les délais étaient courts, la concurrence vive, la crainte de manquer le coche manifeste. Qui plus est, on pensait, à cette date, que deux injections étaient nécessaires, alors qu'il n'en fallait qu'une. Mais pourquoi l'État a-t-il signé avec les laboratoires des ordres de commande « ferme et non révisable » ? En 2005, lors de la grippe aviaire, on avait commandé des « traitements » et non des « doses ». Interrogée par les sénateurs, Roselyne Bachelot a répondu que « les industriels ont besoin de visibilité pour leur production ». Commentaire sénatorial : « Les producteurs, dans quelque secteur que ce soit, sont rarement assurés par avance du volume de leurs ventes... »

La puissance publique s'est soumise à des intérêts privés, allant jusqu'à accepter la responsabilité des dommages subis par les victimes d'accidents pharmaceutiques. Ni le bien commun ni le principe de précaution n'y trouvent leur compte.

(*) Écrivain, auteur de Nos médecins (Éditions du Seuil).

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