TOUT EST DIT

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lundi 10 mai 2010

A quoi jouent les agences de notation ?, par Patrick Jolivet

La semaine qui vient de s'écouler a vu les agences de notation financière dégrader les notes attribuées aux dettes de différents Etats européens, à la suite de la crise grecque. Ce sont non seulement la Grèce, mais également l'Espagne et le Portugal qui ont subi une diminution de leur note souveraine. Le premier de ces pays voyant même désormais sa dette classée comme "spéculative" par Standard & Poor's. Il n'est pas question ici de rappeler l'enchaînement des événements de ces dernières semaines, les phénomènes de croyance et de contagion sur les marchés étant désormais bien connus. Par contre, il n'est pas inutile de s'interroger sur le rôle et l'importance - paradoxale nous allons le voir - des agences de notation dans la régulation financière.
Apparues il y a un siècle aux Etats-Unis (la première note fut délivrée par Moody's en 1909), les agences de notation ont pour objet de réduire ce que les économistes appellent les asymétries d'information sur les marchés financiers : entre des émetteurs de dette ayant tout intérêt à garantir leurs capacités de remboursement et des investisseurs ne disposant pas toujours des équipes d'analystes pour étudier dans le détail les émissions, les agences fournissent une opinion sur la capacité des émetteurs à ne pas faire défaut. Ce terme d'opinion (émise par les agences), est particulièrement important : le premier amendement de la Constitution américaine protégeant la liberté d'expression. Retenons de ce premier point que les notes publiées par les agences ne sont que des opinions et non des labels ou autres garanties scientifiques.

Ces opinions émises sont censées, évidemment, être indépendantes. Personne n'imaginant que les notes puissent dépendre de la tête, ou plutôt du portefeuille, du client. Or c'est précisément ce qui a été reproché aux agences lors de la crise des subprimes, même si le problème n'est pas nouveau : depuis les années soixante-dix, les agences sont rémunérées par les émetteurs (qui les sollicitent pour noter leur dette ou leurs opérations), alors qu'elles l'étaient auparavant par les investisseurs (qui leur déléguaient une partie du travail de traitement de l'information). On estime aujourd'hui que 90 % des revenus des agences proviennent des commissions facturées aux émetteurs de dette. Avant la crise des subprimes, près de 50 % du revenu des agences provenait des produits structurés… Produits dont elles avaient, en amont, contribué par leurs conseils à la structuration ! Retenons ici que la question de l'indépendance des opinions émises par les agences fait question, du fait des conflits d'intérêt liés à leur modèle économique.

"ENCADRER L'ACTIVITÉ DES AGENCES"

Il en découle directement une interrogation sur la fiabilité et la portée prédictive des notes. Une fois encore, cette interrogation n'est pas nouvelle, les agences n'ayant su anticiper, ni la crise de 1929, ni son évolution au cours des années trente. Plus proche de nous, rappelons que Standard & Poor's et Moody's notaient la société Enron en catégorie "investissement" quatre jours encore avant que la société ne se place sous la protection de la loi américaine sur les faillites. Le même constat peut être fait pour Lehman Brothers, noté "A" au moment de sa banqueroute à l'automne 2008. Une troisième remarque s'impose ici : les agences sont le plus souvent incapables de prédire les risques et ne font que suivre les marchés. Elles aggravent donc les crises (ou favorisent les bulles spéculatives) par leur comportement pro-cyclique.

Face à ces constats, le plus étonnant tient au rôle que jouent aujourd'hui les agences sur les marchés financiers. Alors qu'elles n'ont fait l'objet pendant longtemps d'aucune régulation les concernant directement, elles ont bénéficié de différentes réglementations financières, qui leurs ont conféré ce que certains ont appelé un rôle de "quasi-régulateur". Cela a commencé dans les années soixante-dix, lorsque la SEC américaine a accordé aux grandes agences un statut officiel. Entrés en vigueur en 2007, les accords de Bâle II utilisent les notes des agences pour le calcul des fonds propres imposés aux banques. Sur les marchés, les investisseurs exigeant un niveau minimum de rating pour la sélection de leur portefeuille sont nombreux. La Banque centrale européenne elle-même ne prête aux banques commerciales qu'en échange d'actifs notés en catégorie "investissement".

Ces limites sont bien connues, et les autorités de régulation des deux côtés de l'Atlantique ont, depuis 2008, pris des dispositions pour encadrer l'activité des agences. La gestion des conflits d'intérêt, la transparence et la robustesse des méthodes, et la diligence dans le traitement de l'information ont été renforcées dans les textes. La crise de la dette grecque nous invite cependant à aller plus loin : que les agences de notation financière, qui n'ont pas spécialement brillé par leur perspicacité dans la période récente, puissent déstabiliser un Etat et, partant, l'ensemble de la zone euro, doit nous conduire à nous demander si le développement (durable) de nos économies dépend réellement des ratings plus ou moins indépendants émis par des acteurs bénéficiant d'une rente sur les marchés financiers. Politiques européens, encore un effort : l'évaluation de notre maîtrise des risques à long terme est chose trop complexe pour dépendre des opinions émises par les seules agences de notation.

Patrick Jolivet, responsable de la recherche chez BMJ Ratings, une agence de notation sociale et environnementale, et chercheur associé au laboratoire Erasme, Ecole centrale de Paris.

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