TOUT EST DIT

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vendredi 15 janvier 2010

Le plus haut magistrat du parquet émet des réserves sur la réforme de la justice

Un an après l'annonce de la suppression du juge d'instruction par le président Nicolas Sarkozy, la réforme de la procédure pénale et les inquiétudes qu'elle suscite étaient au coeur de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, jeudi 14 janvier. Le plus haut représentant du ministère public en France, le procureur général de la Cour, Jean-Louis Nadal, a renoncé aux sous-entendus pour mettre les pieds dans le plat de la réforme de la justice, qui prévoit le transfert de toutes les enquêtes pénales au parquet, hiérarchiquement soumis au pouvoir politique.
Le procureur général a évoqué les "obstacles dressés sur un parcours loin d'être achevé" : le statut du parquet et la place des victimes dans l'enquête. Pour M. Nadal, il faut "que soit, tôt ou tard, reconsidéré le statut du parquet, sous peine de laisser perdurer une contradiction majeure dont la validation constitutionnelle et européenne paraît bien problématique". La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a estimé, en 2008, que le procureur français n'était pas une "autorité judiciaire".

La chancellerie se refuse aujourd'hui à modifier le statut du parquet et essaie de bâtir un système dont elle devrait dévoiler les contours en février. Elle cherche à aboutir à une procédure équilibrée sans toucher au mode de nomination des magistrats du parquet. Il s'agit de renforcer les pouvoirs de contrôle du juge de l'enquête et des libertés (JEL), chargé de remplacer le juge d'instruction sans avoir de pouvoirs d'enquête.

M. Nadal est également sceptique sur ce point. L'idée que le JEL aurait un pouvoir d'injonction afin d'obliger le parquet, qui conduit l'enquête, à réaliser des actes qu'il a d'abord refusés lui paraît "bien illusoire". Il avoue sa "totale incapacité, aujourd'hui, à suggérer le dispositif qui pourrait constituer ce substitut valable sans recourir à ce qui ressemblerait à un rétablissement de la juridiction d'instruction, sauf à amoindrir les droits des victimes". La chancellerie envisage déjà que le JEL réalise des actes d'enquête, en cas de carence du parquet et à la demande de la cour d'appel.

Le premier ministre, François Fillon, a défendu la suppression du juge d'instruction qui n'est qu'un aspect de la construction "d'un nouvel équilibre où les droits de la défense seront renforcés". "Le parquet ne sera pas le seul acteur de l'investigation. Le nouvel équilibre impliquera des pouvoirs et des contre-pouvoirs", a-t-il insisté, tout en réaffirmant le lien du parquet avec l'exécutif : "Le parquet est sous l'autorité du garde des sceaux. Mais est-il nécessaire de rappeler que le garde des sceaux est porteur d'un mandat que nos concitoyens lui confient ? Est-il nécessaire de rappeler qu'il répond de sa politique devant la représentation nationale ?"

Fait inhabituel, l'audience solennelle de la Cour de cassation était rythmée cette année par les clameurs venues des manifestants. "Assis, debout, mais pas couché !" Des marches du palais de justice à la galerie Saint-Louis qui mène à la Cour de cassation, près de 400 avocats, magistrats en robe et fonctionnaires de justice avaient décidé de troubler la cérémonie. Arborant des pancartes - "Des moyens pour une justice indépendante", "Non à une justice aux ordres", "Un juge disparaît à qui profite le crime ?" - ou des parapluies rouges frappés du sigle SAF (Syndicat des avocats de France), les manifestants s'étaient rassemblés à l'appel des Etats généraux de la justice auxquels s'étaient joints les syndicats de magistrats - FO, Syndicat de la magistrature (SM) et Union syndicale des magistrats (USM) -, d'avocats et des associations de juges.

Les professionnels de la justice étaient là pour fustiger la remise en cause de "l'indépendance de la justice" que constitue à leurs yeux, la suppression du juge d'instruction. Parmi eux, Serge Portelli, vice-président au tribunal de Paris, les juges antiterroristes Gilbert Thiel et Marc Trévidic, des avocats pénalistes comme Patrick Maisonneuve, Françoise Cotta ou Léon Lev Forster... Ni l'ancien bâtonnier de Paris, Christian Charrière-Bournazel, ni son successeur Jean Castelain, n'étaient présents.

Sans doute les avocats sont-ils davantage mobilisés par le débat sur la garde à vue. Sur ce point, M. Fillon a rappelé que "la garde à vue n'est pas une élucidation. Elle n'est pas un verdict. Elle n'est pas une fin en soi. Elle est un moyen". En regardant le président de la CEDH, Jean-Paul Costa, présent dans la salle et dont la jurisprudence inspire les avocats pour contester la légalité de la garde à vue à la française, le premier ministre a affirmé : "Certains de nos tribunaux s'en font dès maintenant l'écho. Il faudra tôt ou tard que nous y répondions dans nos textes."
Yves Bordenave et Alain Salles

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