TOUT EST DIT

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lundi 23 novembre 2009

"La démographie verte", par Stéphane Madaule

La démographie de la planète est encore largement considérée comme une donnée sur laquelle il est difficile d'agir directement. Qui irait contre la liberté de tous, riches ou pauvres, de procréer selon leur bon vouloir ? Qui irait contre le dogme de la croissance pour tous qui a bercé le monde depuis plus de soixante ans comme étant la meilleure façon de combattre un accroissement démographique sans limites ? Et pourtant, ces dogmes volent en éclats. Cette liberté de procréer que l'on croyait acquise se heurte à l'étroitesse de notre Terre, à son caractère fini qui ne peut supporter plus d'activité sans se détruire. La crise écologique est passée par-là et les remises en question sont nombreuses. Les ressources de l'humanité ne sont guère inépuisables et le mode de consommation à l'occidentale qui se diffuse chez les pays émergents très peuplés aboutit à une impasse : épuisement des ressources, augmentation de la pollution, réchauffement climatique et baisse de la biodiversité. On ne raisonne plus en flux – le revenu national brut – mais en stock – le capital naturel –, dont la préservation pour les générations futures devient l'objectif.
Autre idée reçue qui vacille, la stabilisation du croît démographique d'un Sud envahissant était jusqu'à présent vécue comme la priorité des priorités. Les plus grands spécialistes nous prédisaient une planète à 9 milliards d'habitants à l'horizon 2050, contre 6,7 milliards aujourd'hui. Néanmoins, on pensait que le développement généralisé aboutirait à une stabilisation progressive de la démographie mondiale. On croyait que le progrès technique – le génie de l'homme – ferait le reste pour éloigner le spectre de l'épuisement des ressources de la planète. Or on découvre avec effroi que la voie de l'hyperconsommation pour tous, celle que la moitié de l'humanité prend actuellement, s'avère une trajectoire sans issue. Dans ce cas, il faudrait cinq à six planètes pour retrouver un certain équilibre environnemental.

Sur le plan écologique, la question centrale n'est donc pas celle du croît démographique des pays du Sud mais plutôt de la diffusion à une grande partie de l'humanité – les pays émergents, qui représentent 35 % de la population mondiale – d'un mode de consommation à l'occidentale, si destructeur pour l'environnement.

Ce que l'on pourrait appeler la "démographie verte" nous fixe un nouveau cadre, de nouvelles limites : abaisser rapidement le niveau de consommation nuisible à l'environnement des populations des pays riches comme des pays émergents ; prendre les mesures adéquates pour que le développement du Sud se réalise selon un nouveau mode de consommation bien plus sobre, mais qui reste à inventer.

Actuellement, l'empreinte écologique d'un Américain est dix fois plus élevée que celle d'un Béninois. En matière d'impact sur l'environnement, cela veut dire que la population américaine est pratiquement équivalente à 3 milliards d'individus subsistant selon le mode frugal des pays pauvres. Le changement du mode de consommation des pays riches et des pays émergents est au centre de la problématique démographique mondiale.

Pour les pays pauvres, l'enjeu est tout autre. Il se situe dans la définition d'une nouvelle trajectoire de développement. Pour ce faire, un meilleur partage des ressources de la planète s'avère une nécessité. A titre d'exemple, bien plus que la limitation des biocarburants, la réaffectation d'une part des 70 % de terres agricoles nécessaires à l'alimentation carnée des consommateurs aisés devrait être une priorité. En d'autres termes, libérer les terres nécessaires au développement d'une agriculture vivrière de proximité, apte à nourrir efficacement et prioritairement ceux, de plus en plus nombreux, qui souffrent de la faim. Le mode de développement des pays pauvres doit être respectueux de l'environnement, tout en maîtrisant le croît démographique.

L'empreinte carbone des populations des pays riches ou à croissance économique rapide doit donc prioritairement baisser. L'urgence à changer les habitudes est donc beaucoup plus réelle dans les pays ayant enclenché un processus de consommation de masse que dans les pays pauvres qui n'ont toujours pas achevé leur transition démographique. Paradoxalement, le facteur démographique est plus explosif dans les pays à consommation élevée – pays riches et pays émergents très peuplés – que dans les pays pauvres qui voient toujours leur population augmenter. Si nous n'arrivons pas à changer nos habitudes de consommation vers plus de sobriété, la limitation des naissances et même la baisse de la population deviendront une urgence au Nord comme dans les pays émergents. Beaucoup moins dans les pays pauvres, dont le non-développement limite mécaniquement l'impact écologique. Décidément, la lecture verte de la démographie mondiale change notre vision d'avenir.

Stéphane Madaule est essayiste, maître de conférences à Sciences-Po Paris.

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