samedi 15 mars 2014
Municipales : (re)faisons de Paris une fête !
Gaspard Koenig a lu les programmes de NKM et de Hidalgo. Au-delà de l'empilage de mesures plus ou moins imaginatives, un substrat idéologique commun : la tranquillité.
N'ayant pas les compétences techniques pour savoir s'il est possible de recouvrir 1,4 kilomètre de périph' ou de végétaliser 100 hectares de terrasses, propositions-phares des deux candidates à la mairie de Paris, j'ai entrepris de lire le reste de leurs programmes. Ce n'est pas une mince affaire : la "version longue " du projet de NKM n'est tout simplement pas disponible sur le site (suis-je le seul à avoir essayé de me la procurer ?), tandis que télécharger la "synthèse" m'a pris cinq bonnes minutes, le temps de m'inscrire sur Calaméo, d'entrer ma date de naissance et autres renseignements vitaux, de confirmer mon adresse mail et de parcourir deux ou trois fois un labyrinthe numérique pour enfin trouver le PDF. Le programme de la concurrente socialiste est plus accessible, mais c'est pour tomber sur une dissertation de 196 pages en petits caractères, avec des perles telles que "depuis l'Antiquité, la maîtrise de l'approvisionnement alimentaire est la clé du développement des villes". Visiblement, aucune des deux candidates n'a très envie que son programme soit lu, et personne ne semble d'ailleurs s'y essayer.
Dommage, car ces textes sont instructifs. Au-delà de l'empilage de mesures plus ou moins imaginatives, quel est le fonds, la vision, le substrat idéologique ? Une seule réponse, commune aux deux projets : la tranquillité.
Anne Hidalgo est tout à fait explicite sur ce point : elle veut "transformer Paris en ville verte, ouverte et apaisée". L'adjectif "apaisé" revient d'ailleurs à de nombreuses reprises : la mobilité doit être "innovante et apaisée", la vitesse sera limitée "pour apaiser la ville", et les collégiens fragilisés se verront même offrir "des apprentissages apaisés" (sic). Fer de lance de cette politique, une "brigade verte et antibruit" (je n'invente rien), épaulée par des "correspondants de nuits chargés de veiller à la tranquillité des Parisiens". Chers Parisiennes et Parisiens énervés, agités, bruyants, nous avons les moyens de vous apaiser.
Jalouse de tant d'inventivité, NKM contre-attaque sans nuance en ouverture de son propre programme : "Je garantirai la tranquillité des rues de Paris." Pour cela, elle a recours à l'arsenal plus classique de la droite : caméras de vidéosurveillance et arrêtés anti-mendicité. Mais plus loin, surprise ! NKM propose à son tour des "brigades vertes" : les inspecteurs du Centre d'action pour la propreté de Paris (CAPP) patrouilleront avec les inspecteurs de sécurité de la Ville de Paris (ISVP), habilités à relever les identités pour traquer les citoyens salisseurs. Ils pourront se reposer sur une police de quartier pour verbaliser les incivilités (dont, encore une fois, le "bruit").
Parisiennes, Parisiens, ne parlez pas trop fort, lavez-vous et soyez polis. Est-ce là l'ambition des candidates pour une mégalopole ? Certes, leurs programmes couvrent bien d'autres aspects, mais entre les lignes se trouve en permanence cette volonté de diminuer le stress, d'améliorer la "fluidité", etc.
Je leur recommande la lecture de la préface de la Fable des Abeilles, où le philosophe iconoclaste Bernard Mandeville décrit ainsi le Londres du XVIIIe siècle naissant : "Il y a peu de gens qui n'aimeraient que les rues de cette ville soient bien plus propres qu'elles ne le sont d'ordinaire. Mais quand ils se mettent à considérer que ce qui les offense vient de l'abondance, du commerce considérable et de l'opulence de cette puissance cité, s'ils ont son intérêt à coeur, c'est à peine s'ils souhaiteront parfois en voir les rues moins sales... Chaque instant doit produire de nouvelles ordures, et il est impossible que Londres soit plus propre à moins d'être moins prospère." Autrement dit : une cité trop policée est une ville morte. Une capitale vibrionnante produit du déchet, sous forme de bruit, de détritus, d'un certain chaos urbain. Il faut nettoyer, bien sûr. Mais faire de la propreté, de la tranquillité un but en soi, c'est renoncer à devenir une ville-monde.
Je prendrai donc la question dans l'autre sens. (Re)faisons de Paris une fête. Revenons sur l'arrêté de 2008 qui limite drastiquement les autorisations d'ouverture de nuit pour les bars. Dans la foulée, ouvrons des casinos dans Paris, où ils sont interdits depuis plus d'un siècle. Que propose NKM pour la vie nocturne ? "Réinvestir les espaces délaissés à l'écart de tout voisinage pour en faire de nouveaux lieux de fête". Confond-elle Paris et Berlin ? Ou veut-elle envoyer les fêtards sur le périph ? Quant à Anne Hidalgo, elle suggère d'expérimenter l'ouverture nocturne de certains parcs "pour y rêver la nuit ou y deviser entre amis". Je me rappelle avoir sauté la nuit, il y a bien longtemps, la grille du Jardin des Plantes. C'était bien sûr pour "y deviser entre amis".
Mesdames, la nuit ne se passe pas dans des "espaces délaissés", ou à "deviser". La nuit, c'est l'âme d'une grande ville. J'ai vécu au-dessus d'une boîte de nuit : si le bruit vous indispose, je conseille les boules Quiès. Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet nous préparent une ville proprette, silencieuse et endormie. Voulons-nous devenir Zurich-sur-Seine ? La ville avec la meilleure qualité de vie au monde, et une brigade verte à chaque coin de rue ? Plutôt que de proposer aux jeunes des passes Imagin'R ou des abonnements Autolib', rendez-leur la nuit.
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