TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

lundi 3 mars 2014

Europe, Etats-Unis : qui est prêt à mourir pour Kiev ?


La Russie déploie depuis vendredi des milliers de soldats en Ukraine. L'Union européenne a-t-elle les moyens - et la volonté - de se mesurer à ce pays pour défendre la souveraineté d'un pays voisin ?

Le "recours à l'armée russe en Ukraine" demandé par Vladimir Poutine a été validé par le Parlement  russe ce samedi. La veille, Barack Obama s'était déclaré lors d'une conférence de presse « profondément préoccupés par les informations faisant état de mouvements militaires à l'initiative de la Fédération de Russie en Ukraine ».  Si la situation venait à déraper en Crimée quelles pourraient être les réactions possibles des Etats-Unis et de l’Union européenne ?

Guillaume Lagane : La tendance lourde de l’administration Obama a jusque-là été la passivité , c’est-à-dire laisser les pays plus ou moins hostiles à l’occident pratiquer des politiques assez agressives. On l’a vu en Chine avec les îles Senkaku et on le voit aujourd’hui avec la Russie.
De plus, les exemples du passé ne nous incitent pas à l’optimisme. La Géorgie a été agressée en 2008 par cette même Russie, qui continue d'occuper par le biais de deux Etats fantôches (l’Ossétie du sud et l’Abkhazie) près d’un tiers de son territoire. Cela n'avait pas déclenché de reaction internationale à l’époque.

Qui donc pourrait aller "mourir pour Kiev" ?

Dans la situation qui se dessine, une invasion militaire, puisqu’il semble que plusieurs milliers de soldats russes se déploient sur le territoire ukrainien, la première réaction qu’on peut attendre est celle des forces armées ukrainiennes. Mais d’une part ce ne sont pas des forces armées de premier rang, et d’autre part elles doivent évidemment attendre la réaction des Etats-Unis et de l’Union européenne.
Sachant que les forces ukrainiennes ne sont pas au niveau des forces occidentales, quel type de soutien peuvent-elles recevoir ? Les Etats-Unis et l’Union européenne ont des moyens militaires en Mer noire. Mais les Etats-Unis vont s’engager dans une épreuve de force avec la Russie ? C’est loin d’être évident.
Quant à l’UE, elle a un double problème. D’une part un problème de moyens militaires : ceux-ci sont insuffisants et elle ne peut pas assurer elle-même une opération d’envergure – on l’a vu au Mali ou en Centrafrique, où les forces européennes d’intervention, n’ont pas été utilisés.
Elle a aussi un problème de cohérence : tous les pays de l’UE ne sont pas forcément sur la même ligne. Le gouvernement Hollande est certes critique sur la Russie, néanmoins on peut se demander si l’Allemagne, par exemple, serait favorable à l’utilisation de forces armées pour défendre la souveraineté de l’Ukraine. Ca semble assez douteux.

L’Ukraine est pourtant menacée dans ses frontières, dans sa souveraineté. L’Union européenne n’a-t-elle pas intérêt à réaliser l’union sacrée, au nom de ses idéaux de démocratie ?

Ca peut être une crise révélatrice pour l’UE, quelque chose qui la ferait basculer – ce qui serait une bonne chose à l’heure où beaucoup d’Européens doutent de l’utilité de l’Union et ont oublié les avantages qu’elle peut apporter. Mais jusqu’ici, l’UE a plutôt privilégié le soft power – la coopération économique et l’influence culturelle – pour attirer ces pays plutôt que le déploiement de forces militaires.
Il y a eu des déploiements de forces militaires européennes dans les Balkans en 1990, mais ils ont été des déploiements postérieurs à la véritable opération militaire menée par l’Otan. Aujourd'hui, il y a une petite présence militaire en Géorgie, des observateurs déployés suite à  la crise de 2008, mais uniquement du côté georgien, puisque la Russie a refusé qu’ils se déploient en Ossétie et Abkhazie. Le reste de l’intervention européenne dans cette région se résume à la signature d’accords de coopération et de commerce, avec des pays comme la Moldavie, l’Ukraine et la Georgie. Des accords de commerce qui ne leur ouvrent pas la porte de l’Union pour ne pas fâcher la Russie.
Une intervention russe aussi visible que celle qui se dessine aujourd’hui pourrait certes déclencher une réaction des Européens, mais je ne pense pas qu’on soit encore là.

L'Otan reste donc le dernier candidat potentiel à une action ?

Il faut savoir que l’Ukraine a fait, dans les années 90, une demande d'adhésion à l’Otan. Cette adhésion a été repoussée au sommet de Bucarest, en 2008, notamment sur demande de la France et de l’Allemagne qui ne voulaient pas fâcher la Russie. Cette demande a ensuite été abandonnée par Ianoukovitch.
La Géorgie était aussi candidate  à la même période. La question qui s'est posé ensuite, c’est de savoir si l’entrée dans l’Otan aurait protégé sa souveraineté face à la Russie, car un pays agressé peut demander la solidarité des alliés.
Aujourd’hui, la même question se pose. L’Ukraine ne peut pas faire cette demande, car elle ne fait pas partie de l’Otan, mais l’alliance peut considérer que, puisque des partenariats ont été tissés, sa sécurité fait partie des intérêts de l’alliance. Ce type d’évolution est possible, d’autant que l’Ukraine est entourée de pays qui sont dans l’Otan : Pologne, Hongrie, Roumanie, Turquie.

Etant donné l’appui que possède la Russie en Crimée, une intervention de l'Europe serait-elle tout simplement la bienvenue dans cette région ?

Il faut effectivement poser la question de la légitimité d’une intervention. La façon dont le pouvoir ukrainien a été renversé ne repond pas aux standards des démocraties occidentales, mais les nouvelles autorités ukrainiennes ont  aussi pris des décisions symboliques maladroites, notamment l’interdiction du russe comme seconde langue, qui peut rendre mal à l’aise les populations russophones.
En même temps, il serait imprudent de la part de l’UE de laisser la Russie redessiner les frontières européennes au nom des minorités linguistiques locales. Ca ouvrirait la voie à des revendications de ce type de la part de minorités d’autres pays. Si l’autonomie de la Crimée doit être renforcée, il faut que ça soit dans un cadre négocié, pas une politique de force.
On a l’impression que l’UE cherche à nouer avec la Russie un partenariat équitable, mais c’est un Etat autoritaire qui comprend surtout la politique de la force.

Peut-on dire qu' l'Union est donc face à un double-tiraillement : d'un côté, doit-on protéger l'Ukraine au risque de créer un conflit ; de l'autre, doit-on caresser l'ours russe dans le sens du poil ou lui montrer les dents ?

Toute la politique occidentale est partagée entre ces deux approches. On n’est plus dans la guerre froide, mais ça y ressemble beaucoup : il y a d’un côté la politique de confrontation, qui a été celle des Américains à certaines époques, notamment sous Reagan, et à d’autres moments des politiques de négociation, comme sous la détente avec Kissinger.
La relation avec la Russie est complexe : les Européens importent 40% de leur gaz de Russie, alors ils ont intérêt que les relations soient bonnes. En même temps, une politique trop conciliante incite les Russes à prendre tous les avantages qu’ils peuvent. Mais n'oublions pas que la Russie est un colosse aux pieds d’argile. C’est un pays qui dépend aussi énormément de ses exportations de gaz, son principal revenu, il n’a donc pas intérêt à se fâcher avec son principal client qui est l’UE.
Il faut aussi noter que la politique de force, la Russie la pratique avec des pays de second rang comme la Moldavie ou la Géorgie, et ses forces armées ne seraient sûrement pas capables de se mesurer à des armées occidentales.

Mêmes aux forces armées européennes, dont on a mentionné les limites ? L’Europe pourrait-elle gérer un conflit face à la Russie ?

Tout dépend du conflit auquel on pense. Si c’est un conflit généralisé, la Russie reste le premier détenteur d’armes nucléaires au monde. Mais lorsqu’on regarde les conflits conventionnels, la valeur de l’armée russe est très relative. L’armée rouge a énormément décliné après la fin de l’URSS. Dans les années 2000, le budget de cette armée a été augmenté de 50% par Vladimir Poutine pour justement la moderniser et la rendre plus opérationnelle.
On sait que le conflit géorgien en 2008 a été gagné par l’armée russe, mais non sans difficultés, face à une armée géorgienne qui n’est pas de premier rang. Le matériel russe n’a pas toujours fonctionné. Les Russes ont d’ailleurs entamé une politique d’achat d’armement occidental, dont la France a d’ailleurs profité, pour moderniser des forces armées obsolètes.

Quels seraient les risques pour l'UE d'intervenir en Ukraine ?

Il y en a trois. Le premier, c’est que cette intervention militaire implique l’Union dans une situation intérieure de l’Ukraine qui est complexe : ça serait prendre partie pour la partie occidentale du pays contre la minorité russophone.
Le deuxième, ça serait d’aller vers une confrontation plus large avec la Russie, avec tous les problèmes qui ça implique en matière de coopération économique, d’implication dans le dossier syrien ou iranien, voire plus largement une montée aux extrêmes et la Russie qui considérerait qui sa sécurité nationale est menacée.
Le dernier, ça serait qu’un conflit localisé débouche sur un conflit plus généralisé.
Mais on en est pas là, les dirigeants russes sont quand même assez rationnels, et leur calcul aujourd’hui est justement qu’une politique de force ne provoquera pas de réaction des occidentaux et qu’ils peuvent la mener sans réaction négative pour eux.
Nous sommes donc dans une situation assez inquiétante, car sans réagir, on donne un blanc-seing à la Russie et éventuellement à d’autres Etats. Mais si on réagit...  Ca reste la Russie, pas le Centrafrique !

0 commentaires: