A en croire votre livre Jusqu'ici tout va mal (éd. Grasset), beaucoup de "couacs" gouvernementaux s'expliqueraient par le comportement même de François Hollande. En quoi son comportement les encourage-t-il ?
Cécile Amar : François Hollande n’encourage pas ce que vous appelez les « couacs » gouvernementaux. Le pouvoir isole et François Hollande a une pratique solitaire du pouvoir, c’est ce que je raconte dans le livre. Il est très sûr de lui et n’a vraiment confiance en personne. C’est sa nature, elle s’accentue à l’Elysée, car il a choisi de ne pas s’entourer de ses proches historiques ou de ses amis. Il « bouscule ses collaborateurs pour mettre de l’ordre dans ses idées » explique Michel Sapin. Hollande avoue parfois « contourner » ses collaborateurs ou ses ministres, il « préfère faire que faire faire ». Et du coup, parfois, les ministres ou les députés parlent, croyant savoir ce que le chef de l’Etat veut et ils se trompent, ou lui a changé d’avis entre temps.
Yves Derai : En formant son gouvernement, j’ai trouvé que François Hollande avait pris les décisions sages en fonction de l’intérêt du pays, faisant des choix qui correspondaient à une réalité politique. Par exemple, Vincent Peillon était son meilleur spécialiste de l’éducation, Aurélie Filippetti sa meilleure spécialiste de la culture et Manuel Valls était le meilleur sur les questions de sécurité. Il a recruté ses ministres comme un vrai chef d’entreprise. En revanche, ce n’est pas le cas au sein de son cabinet à l’Elysée : le problème de management se situe plutôt là. Le cabinet qu’il a choisi est à sa main, acquiesce quoi qu’il fasse : peu de personnes sont véritablement capables de le remettre en question. Or, il avait d’autres options possibles, avec des gens de plus haut niveau, dotés de plus de sens politique, comme le brillant avocat Maître Villemot. Non, il a choisi Emmanuel Macron. Pour piloter son comité stratégique de campagne, il s’était entouré de personnages très politiques : Manuel Valls, Stéphane Le Foll, Aquilino Morelle, Pierre Moscovici... Une fois élu, quand il a formé son cabinet, il n’a presque gardé personne. Pour diriger les affaires de la France, il lui manque des personnalités compétentes en sciences politiques.
Il croit ne pas avoir besoin d’une équipe qui lui donne des conseils et l’oriente. Il ne veut pas être ennuyé dans l’exercice solitaire de son pouvoir. Pourtant, il ne connaissait pas la machine de l’Etat et aurait dû s’entourer de gens qui l’initient à cette machine, comme cela se fait dans la plupart des cabinets de tous les ministères, au sein desquels c’est souvent le directeur de cabinet, qui connait bien l’administration, qui initie le ministre dans les six premiers mois.
Convaincu de ses propres connaissances en politique et en communication, François Hollande a pensé, malheureusement pour lui, qu’il n’avait besoin de personne en la matière. Il se croyait auto-suffisant et voulait décider de tout. Il pensait n’avoir besoin que de conseillers techniques sur des sujets particuliers. On connait le résultat.
Le président de la République testerait des idées auprès de son entourage puis les abandonnerai sans les en informer. Cela explique-t-il les prises de paroles parfois contradictoires de certains membres de la majorité ? A quels exemples précis peut-on penser ?
Cécile Amar : Son mode de fonctionnement par « itérations » comme il le dit dans le livre est parfois difficile à suivre pour ceux qui sont chargés au gouvernement ou dans la majorité d’expliquer sa politique. Quand il demande à ses conseillers « mais qui a parlé ? » alors que c’est lui, forcément c’est difficile à vivre ! François Hollande est fondamentalement un pragmatique, il avance en marchant et veut toujours surprendre. Il évolue donc sans prévenir ceux qui croyaient savoir et qui parlent et se trompent.
Et puis Hollande est secret. Cet été, il envisageait d’utiliser la CSG pour la réforme des retraites, tous les responsables de la majorité se sont donc calés sur cette position. Et puis, il a préféré utiliser les cotisations, mais ne leur a pas dit qu’il avait changé. Ses troupes ont parfois du mal à le suivre. Je raconte aussi que lorsque Cécile Duflot présente en conseil des ministres le projet de loi sur l’encadrement des loyers, promesse de campagne du candidat Hollande, le Président prend ensuite la parole et demande « les agences immobilières sont mécontentes, y a-t-il vraiment eu une concertation ? Et l’encadrement des loyers est-ce vraiment bien ? ».
Yves Derai : Jacques Chirac fonctionnerait déjà comme cela : il rassemblait des gens autour d’une table, faisait des réunions, il écoutait chacun, puis il faisait ce qu’il voulait. Dans le cas de la présidence Hollande, le problème vient plutôt d’une défaillance dans le tandem de l‘exécutif. Jean-Marc Ayrault n’a pas vraiment le pouvoir d’être le chef du gouvernement. En découle un problème de respect et de coordination avec les ministres, qui croient pouvoir n’en faire qu’à leur tête puisque le Premier ministre manque d’autorité. On retrouve un système proche du tandem Nicolas Sarkozy-François Fillon, avec un hyper-président, bien que François Hollande soit plus mou. Il y avait peut-être moins de couacs sous Nicolas Sarkozy car ses collaborateurs craignaient son autorité.
Jean-Marc Ayrault, qui était pourtant réputé pour être autoritaire, est sans cesse court-circuité. Comme François Hollande est quelqu’un qui hésite souvent avant de prendre une décision, on obtient un cocktail détonnant.
François Hollande agit-il ainsi par nature ou par tactique ? A-t-il toujours fonctionné ainsi ? Quels bénéfices en tire-t-il ? Surpassent-ils les inconvénients générés par ces couacs à répétition ?
Cécile Amar : C’est sa nature, sa personnalité. Il est très attaché à sa liberté, de mouvement et de pensée, et sa pratique du pouvoir est de plus en plus personnelle. Il « engueule » ses conseillers, ses ministres, parce qu’il pense qu’ "à la fin, c’est lui qui paie tout". Hollande estime qu’il « n’est pas compliqué à comprendre », mais peu ont le mode d’emploi. « Il est secret, cherche toujours à préserver son espace, cherche toujours à laisser jusqu’au bout des options ouvertes » analyse Stéphane Le Foll, qui a dirigé pendant onze ans son cabinet rue de Solférino. Lui savait le comprendre. Mais au gouvernement, à l’Elysée, ou dans la majorité, tous sont loin de décrypter François Hollande, on le voit depuis vingt mois.
François Hollande apparaît finalement comme un président opaque, qui ne se confie jamais vraiment à personne. Est-ce que ce comportement, cette tendance à tout faire remonter à lui, peut perturber le fonctionnement de l'État ?
La Véme République, dénoncée en son temps par François Mitterrand et les socialistes, concentre les pouvoirs et François Hollande s'est coulé dans ce moule. Son exercice du pouvoir est très personnel, solitaire même. C'est le choix qu'il a fait. Il est très secret, cela perturbe parfois ses ministres ou ses conseillers, mais cela fait longtemps que les socialistes ont abandonné tout désir de changer de République.
Dans ce contexte, comment interpréter les rumeurs de remaniements ?
Yves Derai : Ce n’est pas étonnant, lorsqu’il y a de tels problèmes. De plus, la popularité de François Hollande est au plus bas, autour de 20% et celle du Premier ministre est à peine au-dessus. Mais je pense que ce remaniement n’aura pas lieu tout de suite : c’est trop tôt. François Hollande ne formera pas de nouveau gouvernement avant les élections municipales, sachant que la gauche risque de perdre beaucoup dans ces élections, ainsi qu’aux européennes.
Je pense qu’il va user Jean-Marc Ayrault et son gouvernement jusqu’à la corde, attendre les résultats des élections municipales et européennes, puis il remaniera ensuite pour essayer de redonner un second souffle aux deux dernières années du quinquennat.
François Hollande apparaît finalement comme un président opaque, qui ne se confie jamais vraiment à personne. Est-ce que ce comportement, cette tendance à tout faire remonter à lui, peut perturber le fonctionnement de l'État ?
La Véme République, dénoncée en son temps par François Mitterrand et les socialistes, concentre les pouvoirs et François Hollande s'est coulé dans ce moule. Son exercice du pouvoir est très personnel, solitaire même. C'est le choix qu'il a fait. Il est très secret, cela perturbe parfois ses ministres ou ses conseillers, mais cela fait longtemps que les socialistes ont abandonné tout désir de changer de République.
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