samedi 22 février 2014
La rage aux dents de L’Obs
L’éternel retour des heures les plus sombres
Hier, je lisais Le Nouvel Observateur chez le dentiste. Au milieu d’une pile de Closer, entre deux Automagazine et trois brochures détaillant pour les enfants en bas âge les étapes essentielles du brossage de dents, on trouve toujours un Nouvel Obs caché quelque part. Sa lecture a sans doute un effet immensément bénéfique sur les patients condamnés à patienter en attendant le diagnostic libérateur.
Cette semaine, Laurent Joffrin est épouvanté. Dans son édito que j’ai lu en cherchant à calmer ma rage de dents, il a l’épouvante historique, se référant à Léon Blum découvrant avec horreur en 1933 la tendance néo-socialisto-pré-fasciste incarnée par Adrien Marquet et Marcel Déat. Vous l’avez compris : Léon Blum aujourd’hui, c’est Laurent Joffrin et Marcel Déat, c’est Causeur. C’est bien normal. Laurent Joffrin a des épouvantes de Grande Tradition. Au Nouvel Obs, on pétoche Label rouge s’il-vous-plaît, on a toujours les foies dans le sens de l’histoire.
Le crime reproché à notre bande de flibustiers est d’avoir donné la parole à Dieudonné, en somme d’avoir accordé un entretien à Belzebuth. Personnellement, en lisant son interview, je me suis dit que l’aura du personnage eût été conséquemment diminuée si on l’avait fait parler plus tôt. Je veux dire par là : parler sérieusement, pas camouflé derrière le prétexte du rire et le bouclier du comique, en exposant clairement sa vision des choses, tout à fait édifiante. Cinq pages d’entretien suffisent à démontrer que ce type possède peut-être un certain génie comique mais qu’il ne comprend pas les termes qu’il emploie à longueur de temps, judaïsme, juif, sionisme, tout ceci surnageant dans une bouillie conceptuelle épaisse. On voit qu’il est urgent de lui faire lire les manuels d’histoire et de géographie qu’il confie avoir envie de déchirer car, visiblement, sa vision du monde et de l’histoire est aussi simpliste que lacunaire. À lire cet entretien, j’ai eu vraiment l’impression que Dieudonné était une affaire classée. Il n’est même pas utile de donner tort ou raison à son complotisme délirant, ce type démontre parfaitement bien lui-même qu’il est complètement à côté de la plaque.
Bon, je ne voudrais pas en conclure que Causeur a fait plus œuvre utile que mille éditoriaux de Laurent Joffrin pour rendre à Dieudonné sa vraie dimension. Si j’étais taquin, je dirais même plus que l’indignation de commande des Joffrin et consorts a fait davantage pour la sulfureuse notoriété de Dieudonné – en en faisant un martyr de la liberté d’expression – que mille dossiers de Causeur. Pour s’en rendre compte, il suffisait de le laisser parler. Voilà. C’est fait, passons à autre chose.
Ah, mais on me signale que Laurent Joffrin a toujours l’air épouvanté. Rendez-vous compte, de vils esprits ont pu reprocher à l’Obs d’avoir accolé sur sa couverture Eric Zemmour, Alain Soral et Dieudonné, comme si le journal était coutumier des rapprochements hasardeux… Allons donc. AuNouvel Obs, on adore les listes, c’est comme ça. À défaut de réflexion, on se contente des associations et autres procès d’intention, ça occupe et ça vous meuble un édito aussi sûrement qu’un bon plombage vous renfloue une molaire défaillante. Alors, hop, c’est reparti, Joffrin l’épouvanté refait rapidement le coup du bottin de la fachosphère : Elisabeth Lévy (l’Annie Cordy de la réaction…), Ivan Rioufol (le Carlos du conservatisme ?), Renaud Camus (le Claude François de la xénophobie), Eric Zemmour (le Plastic Bertrand de l’islamophobie), etc. Tout ça pour aboutir aux heures les plus sombres…
Cette manie des associations me rappelle étrangement une nouvelle de Stephen King dont le titre ne me revient pas (si cela dit quelque chose à quelqu’un) mais dont je me rappelle l’histoire : un couple traverse en voiture l’ex-Yougoslavie. Les deux visiteurs échouent dans un village, perdu dans la campagne où ils vont être associés à une étrange coutume locale, vestige du titisme : en grimpant tous les uns sur les autres, les habitants du village et leurs prisonniers (le couple de touristes) forment un être géant, une sorte de version cauchemardesque de l’homme nouveau titiste, formé d’un assemblage de corps humains, qui va affronter le bonhomme géant du village voisin. Je suggérerai bien à Laurent Joffrin d’organiser le même rituel. On pourrait demander à tous les affreux réacs de s’agglomérer pour former une version grandeur nature et suffisamment terrifiante de la bête immonde tandis que la courageuse équipe du Nouvel Obs s’agglomérerait à son tour pour aller combattre le monstre. Imaginez ! Ça aurait de la gueule : le bonhomme Causeur et le bonhomme Observateur en train de se coller des tartines en plein Paris, sur la place de la Concorde, histoire d’en rajouter une louche dans le symbolique ! Ça ferait certainement un carton et ça permettrait de relégitimer de manière spectaculaire « l’humanisme républicain délégitimé » – dixit Joffrin. Evidemment, à la fin les fachos seraient écrasés et le bonhomme Observateur ferait triomphalement le tour de la France pour aller à la rencontre du bon peuple, un peu comme Axel Kahn. Je ne sais si Laurent Joffrin serait moins épouvanté par cette suggestion, en tout cas moi j’ai moins mal aux dents.
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