Les faits - La séquence Leonarda a révélé samedi dernier les failles dans la communication présidentielle, mais aussi l’impact des chaînes d’information en continu, que le pouvoir socialiste a largement sous-estimé depuis le début du quinquennat. Du coup, les critiques fusent au sommet de l’Etat contre ces robinets à image. Le gouvernement cherche la parade.
On n'en veut pas
C’est devenu un leitmotiv: le couplet contre les chaînes d’information en général, et contre BFM-TV en particulier, revient en boucle dans les allées du pouvoir. Ainsi Arnaud Montebourg vocifère-t-il contre une « bfm-isation » de la vie politique. Michel Sapin s’emporte de son côté contre « l’emballement médiatique » suscité par le traitement de l’information des chaînes en continu, dans lequel « une tornade chasse l’autre ». Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, ironise sur « Fox News… pardon BFM ». Dans les cabinets ministériels, on ne parle plus que de « B-FN », tant la chaîne d’Alain Weill serait « populiste », « bas de gamme », coupable de produire à jet continu des « fast news » sans recul ni analyse.
Nées à la fin des années 1990, LCI, i-Télé et BFM ont décollé durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Au point que Franck Louvrier, chargé de la communication de l’ancien président à l’Elysée, prédisait dès juin 2011 que « la campagne de 2012 se ferait sur les chaînes d’info ». De fait, les principaux candidats ont séquencé leur agenda de campagne en fonction des chaînes d’info. D’une visite de Rungis au petit matin au meeting du soir, il s’agissait avant toute chose, pour François Hollande comme pour son rival UMP, d’abreuver d’images la grille de ces chaînes.
Chaque jour il est vrai, plus de 9 millions de personnes regardent BFM-TV, alors que les trois journaux télévisés historiques (les 20 heures de TF1 et France 2 et le 19-20 de France 3) affichent près de 17 millions de téléspectateurs à eux trois. L’audience de BFM représente 2 % de part de marché en France alors qu’en Grande-Bretagne, Sky News est à 0,8% et, aux Etats-Unis, Fox News à 1,5%. Autant dire que les chaînes d’info concurrencent sérieusement les grandes chaînes. La miniaturisation des moyens techniques leur permet désormais de faire du direct d’où elles le souhaitent, quand elles le souhaitent : sortie du conseil des ministres, salle des Quatre-Colonnes, siège de l’UMP, trottoir devant le ministère de l’Intérieur, etc.
Du coup, le temps s’accélère et, comme le souligne Michel Sapin, « une information chasse l’autre ». Syrie, Roms, rythmes scolaires, travail du dimanche… Les polémiques enflent aussi vite qu’elles se dégonflent. Et l’émotion véhiculée par l’image l’emporte largement sur la réflexion induite par l’écrit. Ainsi, le jour où le Conseil constitutionnel valide en partie le projet de loi sur la transparence de la vie publique, décision lourde de conséquences, comme l’avenir le montrera, l’actualité est-elle dominée par la fronde des élues de gauche de l’Assemblée contre un député UMP coupable d’avoir caqueté dans l’hémicycle la veille alors qu’une députée écologiste prenait la parole. Il est vrai que la première information ne pouvait s’appuyer que sur un plan de la façade du Conseil constitutionnel, tandis que la seconde était illustrée par l’image inédite de plusieurs dizaines de députées en colère. « On est dans la société du rire, où l’info légère, anecdotique, qui fait du buzz, est préférée au fond, déplore le conseiller en communication d’un ministre. Le gouvernement ne s’est pas adapté à cette nouvelle forme de communication. La gauche doit faire une révolution copernicienne ».
C’est bien ce qu’a montré l’affaire Leonarda : l’Elysée a été surpris de découvrir sur les écrans samedi la jeune collégienne répliquer en direct au président de la République, quasiment sur un pied d’égalité. « C’est étonnant car les caméras campaient depuis trois jours devant le domicile de la famille de Leonarda, raconte un journaliste de BFM. Idem pour France Info ou France 2. L’Elysée pouvait très bien anticiper qu’elle serait interrogée après l’intervention de François Hollande ».
« L’époque où vous aviez un président à l’Elysée, atteint d’un cancer et entretenant de surcroît une seconde famille, est révolue depuis longtemps », concède un proche de François Hollande, qui milite pour un président qui s’expose davantage et donne le tempo, et pour un service de communication qui vive au rythme de « l’actu chaude ». Le hic, c’est que François Hollande « ne veut pas faire comme Nicolas Sarkozy, c’est-à-dire intervenir au gré des émotions », relève un ministre. Par ailleurs, « la démarche du président, qui est de rechercher le compromis sur tous les sujets, et qui donc nécessite du temps, est contradictoire avec ce système de traitement de l’information en accéléré». « François Hollande ajuste en permanence sa politique par rapport à l’opinion portée par les journaux, mais se préoccupe peu des chaînes d’information », ajoute un responsable socialiste.
Un conseiller ministériel relève aussi qu’on est passé « de journalistes de presse écrite qui prennent le temps de réfléchir et d’analyser une information à des journalistes précarisés et pressurisés des chaînes d’info, qui se contentent de relater les faits. Du coup, on va arriver à une information à deux vitesses, pointue et payante pour les classes supérieures; gratuite, rapide et sans valeur ajoutée pour le peuple. C’est un vrai problème ».
De fait, l’influence de plus en plus large de ces chaînes inquiète au sommet de l’Etat. « Elles tirent toujours plus vers le bas, observe un conseiller de l’Elysée. Ce qui est clair, c’est que cela influence le fonctionnement et la fabrication des 20 heures, car les gens sont alimentés toute la journée par le robinet à images, et ils les revoient le soir dans les JT. On ne sait pas si ça produit des effets directs sur les citoyens, mais ce qui est clair, c’est que ça occupe les yeux et les oreilles ».
L’exécutif s’interroge donc au positionnement à adopter dans cette bataille de l’image. « Les chaînes d’infos sont là, on n’est pas la Corée du Nord, on ne va pas les supprimer, donc il faut faire avec, et essayer de les gérer », estime le conseiller d’un pilier de la majorité. « On ne va pas changer ces chaînes et leur mode de fonctionnement, donc c’est à nous d’essayer d’être plus intelligents qu’eux », approuve un autre conseiller. En attendant, « tous les politiques se précipitent sur nos plateaux », fait remarquer Céline Pigalle, directrice de la rédaction d’i-Télé. Ce qui relativise les critiques d’une classe politique qui a toujours tendance à considérer les médias comme le support de sa communication.