mercredi 4 septembre 2013
Oradour-sur-Glane et “un passé qui se regarde en face” : pourquoi les Allemands ont toujours été plus efficaces que les Français pour examiner leur responsabilité dans la Seconde Guerre mondiale
François Hollande a qualifié le massacre de 642 personnes par une division SS à Oradour-sur-Glane, où il se rend ce mercredi avec le président Allemand, de "passé qui se regarde en face". Chose que nos voisins germaniques ont toujours su mieux faire que nous.
Cécile Desprairies : Il y a là deux questions en une. La visite de Joachim Gauck traduit une fois encore que l’Allemagne assume depuis 70 ans la responsabilité de ce qu’elle fait sous le régime nazi. Et au-delà du fait que l’Allemagne soit en campagne électorale et qu’Angela Merkel ait également fait des déplacements commémoratifs, il s’agit d’un geste très fort et positif qui s’inscrit dans une logique globale allemande de reconnaissance de son passé et de sa responsabilité.
Sur la question des blessures de la France ouvertes pendant la Seconde Guerre mondiale,les commémorations sont une bonne chose dans le sens où elles évitent que ce soit le silence qui entoure ces évènements. Il est important d’ouvrir le passé et de le regarder. Cependant, il semble que la France pourrait, au-delà de la responsabilité du régime nazi, ouvrir le débat sur sa propre responsabilité. Aujourd’hui, la plupart des historiens s’accordent sur cette nécessité. Je me souviens d’un dialogue que j’ai eu avec Olivier Wieviorka chez Jean-Pierre Elkabbach, et nous étions tombés d’accord pour dire que les résistants « encartés » représentaient à peine 1% des Français. Or, la fausse image de la France résistante que les gaullistes ont imposée depuis 70 ans nous empêche de regarder les choses en face.
Non, je ne le crois pas. Au contraire. Cette représentation flatte l’ego, elle est valorisante mais ne résout rien. Il faut comprendre qu’elle fait passer sous silence une ambiance de guerre civile qui allait jusqu’à diviser des fratries au sein des familles quant au comportement adopté sous l'Occupation. Cette image a servi de ciment mais elle est clairement bâtie sur un mensonge.
Les Allemands, eux, n’avaient rien à perdre et ont donc pu regarder leur passé et faire face à leur responsabilité. Nous, Français avions encore un peu à perdre et nous nous sommes donc reconstruits sur ces 1% de Français qui ont eu le courage de résister. Car malgré tout ne l’oublions pas, certains l’ont fait – ils ont d’ailleurs été plus nombreux dans les trois dernières semaines. Ainsi, entretenir cette fausse image d’une France résistante qui n’a pas collaboré est négative parce qu’elle est fausse, que les gens le savent et elle est même dangereuse par ce qu’elle cache de ce que les Français ont fait – ou non.
De toute évidence. C’est cela la blessure car la Collaboration ne se limite pas uniquement aux « collaborationnistes » et à la Gestapo, elle comprend aussi la Collaboration entre Français et Allemands, celle entre Français et Français, les « malgré nous » - ces 140.000 Alsaciens, Mosellans et autres enrôlés de force. Je fais, pour mon prochain ouvrage un tour de France des archives de l’époque et je réalise à quel point cette Collaboration allait se loger dans une dimension humaine et quotidienne, entre gens qui habitaient le même quartier et qui se croisaient tous les jours.
Oradour-sur-Glane c’est la « division venue de nulle part » qui remonte la France et massacre tout sur son passage, elle est emblématique, elle est horrible mais elle ne révèle pas la totalité du fait.
Pardonner est une notion catholique, je trouve que cela donne une grande valeur à tout cela et je ne pense pas qu’il soit pertinent pour moi de juger de ce qui a été pardonné ou pas et à qui. Je citerais tout de même un proverbe corse qui dit ceci : « Pardonner est d’un chrétien, oublier, d'un imbécile». Ne soyons pas imbéciles, en premier lieu pour ce qui nous concerne.
Les Français ont toujours eu une relation très complexe aux Allemands, faite à la fois de fascination et de rejet, ils sont pour les Français des « autres qui ne sont pas vraiment autres ». Quant à savoir si les Français pardonnent ou non, il est certain qu’au-delà du pardon ou pas à nous-mêmes et à nos aïeuls, nous ne voulons pas encore regarder ce qu’il en a vraiment été. Signalons toutefois que la disparition progressive des gens ayant vécu cette époque tend à faciliter ce déblocage.
Il est bien facile d’amnistier, trop peut-être. Le général De Gaulle lui-même a fait libérer d’anciens officiers nazis dans le cadre de l’amitié franco-allemande, lors du traité de l'Élysée, en 1962. Cela relève de la même rapidité de traitement que l’épuration pour laquelle Bousquet a été un des derniers à comparaître et qu'il a été acquitté malgré sa grave culpabilité. Il est l'organisateur de la rafle du vél d'Hiv ! Avant d’amnistier, il aurait fallu prendre le temps d’élucider notre passé sans quoi, et comme c’est la cas, on génère de la frustration dans l’esprit des gens. Il y a donc bien au-delà de la question judiciaire une question pédagogique. Il faut sortir des termes d’amnistie ou de pardon qui entretiennent les notions de bien et de mal, c’est autour de la vérité qu’il faut travailler pour avancer.
Non, je ne crois pas que la fracture provoquée par la Seconde Guerre mondiale se situe entre l’Etat, le gouvernement, et les citoyens. Ce n’est pas une question de gouvernement, c’est une question de mémoire collective. La fracture est interne à la société française qui a conscience de vivre sur de fausses images d’elle-même. Sortons de la Seconde Guerre mondiale, mais restons sur l’Allemagne. Il est de bon ton de dire que le couple franco-allemand est le moteur de l’Europe alors que tout le monde sait qu’aujourd’hui seule l’Allemagne sert de moteur au vieux continent. C’est de cela que souffre la France, de se mentir sur ce qu’elle est et a été.
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