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samedi 3 août 2013

Le rebétiko, nouvel eldorado des archéomusicologues

Nouvel eldorado des archéomusicologues : la Grèce, et sa musique des bas-fonds, le rebétiko, compilé sur quelques nouveautés renversantes.

Les signes ne trompent pas. Depuis une dizaine d’années, le label anglais JSP, spécialisé dans les compilations de musiques d’avant-guerre, lui a consacré plusieurs coffrets indispensables. Au milieu des années 2000, Alex Kapranos, le leader de Franz Ferdinand, a maintes fois chanté ses louanges. En 2004, l’Américain (d’origine italo-grecque) Jim Sclavunos (batteur des Bad Seeds de Nick Cave) signait dans le Guardian un bel article sur le sujet (sous le titre éloquent “Tellement bon qu’ils l’ont interdit”).

En 2010, le très hype label américain Mississippi Records sortait un vinyle de la diva Marika Papagika (interprète en 1919 de Smyrneiko Minore, considérée comme la chanson la plus triste du monde). L’année dernière, l’Italien Vinicio Capossela lui consacrait son nouvel album – avec une version ramenée au pays de Misirlou, le tube surf-rock de Dick Dale popularisé par la BO de Pulp Fiction en 1994.
Le rebétiko, donc. Une musique née il y a un siècle dans les tavernes, les bordels pour marins et les prisons d’Athènes. Très loin des clichés folkloriques de mecs en jupe qui jouent du bouzouki et font la danse du mouchoir pour des touristes pétés à l’ouzo, une musique de l’intérieur, des bas-fonds infréquentables, qui parle de sexe, de drogue, de meurtres et de gangsters. Une musique historique aussi, liée aux soubresauts de l’indépendance du pays, aux guerres contre la Turquie, à la Première Guerre mondiale, chrétienne miséreuse, forcée après 1920 de quitter la Turquie pour s’installer en Grèce.
Pour le public occidental, le rebétiko est présenté comme une forme européenne du vieux blues. Ce n’est pas faux. Mais c’est surtout, dans son instrumentation et ses mélodies, une musique hautement influencée par le Moyen-Orient, par l’héritage culturel de l’Empire ottoman. “Je suis turc par la naissance, grec par les origines, et américain parce que mon oncle a fait un voyage”, disait Elia Kazan en ouverture de son chefd’oeuvre America America.
Cette musique en noir et blanc tragique raconte plus ou moins la même histoire. Et le coffret ultime vient d’arriver d’Amérique, conçu sous forme de livre-disque par le toujours essentiel label d’Atlanta Dust-To-Digital.Greek Rhapsody compile une quarantaine d’instrumentaux gravés sur 78t entre 1905 et 1956, au-delà du seul rebétiko et des frontières de la Grèce – pas mal de titres ont été enregistrés à Istanbul ou New York, peut-être par des oncles d’Elia Kazan. Des pépites exceptionnelles, merveilleusement nettoyées (la vieille musique a rarement aussi bien sonné), extraites d’un filon qui va de la Turquie aux Balkans en passant par Hawaii – la mode de la guitare hawaïenne dans les années 30 était arrivée jusqu’aux oreilles des Grecs.
L’autre gros morceau, c’est le coffret Beyond Rembetika du label JSP, qui ratisse la musique antique de la région de l’Epire (à la frontière entre la Grèce et l’Albanie). En grec, “épire” veut dire continent. Et c’est la révélation d’un continent oublié, presque cent morceaux enregistrés entre deux guerres mondiales et une multitude de conflits régionaux, qui suintent la virtuosité et la tragédie, comme un jazz sans l’insouciance. Une musique sophistiquée sur la forme, brute et violente sur le fond : magnifique. Pour finir, les esthètes garderont de la place pour Five Days Married & Other Laments, un autre disque qui résume le coffret précédent, sous une pochette dessinée par Robert Crumb.
Albums Greek Rhapsody (Dust-To-Digital/Differ-ant), Beyond Rembetika(JSP/ Socadisc), Five Days Married & Other Laments (Angry Mom Records/Orkhestra)


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