lundi 5 août 2013
Le Coup du Père François (épisode 1) : Deux hommes dans un cimetière (tiré du Figaro)
FICTION POLITIQUE- Une nuit de février 2015, quelque part en France - où rien ne va plus - une voiture se gare le long d'un cimetière. Deux hommes en descendent…
Un quidam qui, en cette nuit glaciale de février, se serait trouvé devant le cimetière de cette petite ville de province aurait été le témoin d'un spectacle bien singulier. S'engageant silencieusement dans la rue du Chail, une voiture s'arrêta devant l'entrée principale du jardin des morts. Avec des airs de conspirateur, son conducteur en descendit et scruta longuement l'obscurité. Pas âme qui vive à l'horizon, pas un bruit. Il n'y avait que la nuit. Visiblement rassuré, notre homme se dirigea vers la porte arrière droite du véhicule et l'ouvrit. Un personnage de petite taille en sortit. Il fit le tour de la voiture, ouvrit la porte arrière gauche et aida lentement à s'en extirper un homme de grande taille au regard fixe et au visage parcheminé. Portant sur lui le poids des années, ce dernier prit appui sur le toit de la voiture, tandis que l'autre s'adressait au chauffeur à voix basse. «Nous en aurons pour une heure, pas plus. Surtout, que personne ne vous voie! Vous avez la clef?» Le chauffeur tendit une longue clef à demi rouillée.
Dans un geste où il y avait à la fois de l'affection, de la timidité, de l'égard et de la précaution, l'homme qui désormais tenait la clef dans une main prit par le bras son compagnon de voyage. Ils se dirigèrent à pas lents vers la grille d'entrée. Tout en cheminant, le premier disait au second: «Nous allons marcher doucement. Tout ira bien. La tombe est à trente mètres, sur la droite.» Après quelques secondes de cette marche nocturne, ils se trouvèrent devant la grille d'entrée. La clef tourna dans la serrure et la grille s'ouvrit dans un grincement qui aurait glacé le sang de notre quidam s'il avait été là. Mais il n'y avait personne. Les pavés du cimetière, les morts en dessous, l'obscurité partout, et deux silhouettes à pas lents. Le petit homme, qui tenait toujours le grand par le bras, prit la parole tout en cheminant: «On ne peut évidemment pas parler avec les morts, mais la fréquentation de leurs ossements peut nous inspirer quand la situation est désespérée. En tout cas, on me l'a dit. Il suffit de fermer les yeux et de penser très fort à eux. Dieu sait que je suis athée, mais il y a des jours, si je puis dire, j'ai des doutes!»
- «Moi aussi!», répondit en riant la grande ombre voûtée, tout en prenant garde à la courbe des pavés qui défilaient lentement sous ses pas. «Ton expérience me tente! Entrer en contact avec les morts, voilà une histoire roborative et qui me change de mes journées interminables! Tu sais, je m'ennuie à cent sous de l'heure chez moi!»
- «Un peu plus que cent sous…», répondit, jovial, son acolyte.
- «Allez, disons deux cents!», concéda la grande ombre en partant d'un rire sonore.
Soudain, ils s'arrêtèrent. C'était là. Ils y étaient. Une tombe presque semblable aux autres. Des fleurs fanées, une croix, et l'envahissant sentiment du temps immobile mais qui passe encore. «Je ne sais pas comment entrer en communication avec lui. Il paraît qu'il suffit de se taire et la chose se fait», glissa le petit homme au grand. Ce dernier, goguenard, répondit: «Toi qui es bavard comme une pie, tu n'es pas sorti de l'auberge!»
- «Tais-toi! Ça y est, il est là!»
- «Tu es sûr? Je n'entends rien!», répondit l'homme de grande taille. «Esprit es-tu là, poursuivit-il en souriant. Si tu es là frappe trois coups, si tu n'es pas là, frappe quatre coups!»
- «Mais enfin tais-toi! Écoute!», l'interrompit son voisin.
Notre quidam aurait alors vu les deux silhouettes, penchées sur une tombe, immobiles, fermant les yeux et comme possédées. La scène dura à peu près trente minutes, mais comme il n'y eut aucun témoin on peut dire qu'elle dura plus, ou moins. Cela n'a pas d'importance. L'important, c'est ce qui se trama à cet instant et que personne ne vit ni ne sut jamais, à l'exception des deux visiteurs.
Ils n'avaient pas bougé pendant tout ce temps. Soudain, le plus petit prit le plus grand par la taille, l'invitant d'un geste à rebrousser chemin. Tous deux se dirigèrent lentement vers la sortie du cimetière. Ils n'échangèrent pas une parole en marchant, comme si la fréquentation nocturne de l'homme qui gisait en dessous les avait rendus muets. Ils avaient encore dix mètres à faire avant d'atteindre la grille lorsqu'un rayon de lune perça les nuages, éclairant les tombes, les allées, les arbres. Et les deux promeneurs. S'il avait été là, notre quidam aurait alors vu deux visages familiers et entendu cette brève conversation.
Le plus petit des deux prit la parole, mettant ses mains sur celles de son compagnon de cimetière:
- «Il n'était pas là, mais il était là. L'as-tu senti? J'ai cru comprendre qu'il m'encourageait. Devant sa tombe, en fermant les yeux, tout m'est revenu: ses complots, ses machinations, ses mensonges, sa rouerie. Il avait décidément raison sur tout. Jacques, ma décision est prise. Je vais dissoudre l'Assemblée nationale.» Il observa quelques secondes de silence. «Ma décision est irrévocable! Tu es le seul à le savoir. Gardons la chose secrète toi et moi. Tu me le jures? Avoue qu'après cette étourdissante expérience de spiritisme, c'est bien le moins…»
- «François, tu es génial! Le petit va se prendre les pieds dans le tapis. On va rire! Tout naturellement, je ne le dirai à personne. C'est motus! Croix de bois, croix de fer!»
- «Et si ta femme te dit: “Ne me cachez-vous pas quelque chose…?”»
- «Je ferai celui qui n'entend pas… Tu sais bien que je suis dur d'oreille!»
- «Ça oui, je confirme! Tu n'as même pas entendu lorsque l'esprit a frappé trois coups, tout à l'heure. Pourtant, il a fait un de ces baroufs!», répondit l'homme de petite taille.
- «Il a vraiment frappé trois coups? Ben j'ai rien entendu!»
- «Oui, trois coups bien nets, bien sourds. Comme s'il était content de nous voir! Avoue que ce n'est pas tous les jours qu'il a d'aussi prestigieux visiteurs!» Les deux hommes s'esclaffèrent dans l'obscurité.
Ronde comme une orange dans ce ciel de février, la lune avait gagné son combat contre les nuages de la nuit. La voiture attendait devant les grilles, qui soudain s'ouvrirent.
François Hollande et Jacques Chirac, à pas comptés, et comme des cambrioleurs, quittèrent le cimetière des Grand' Maisons, à Jarnac, où François Mitterrand est enterré depuis 1996. Les deux hommes montèrent dans le véhicule qui, reparti aussi discrètement qu'il était venu, quitta la petite ville charentaise pour regagner Paris, à 480 kilomètres de là. Une femme d'un certain âge les regarda s'éloigner. Elle était assise au volant de sa voiture, garée tous feux éteints dans la rue du Chail. C'était une très vieille 205 rouge. Immatriculée en Corrèze.
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