TOUT EST DIT

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jeudi 1 août 2013

2013 est-elle en train d’accoucher l’air de rien d'une nouvelle droite ?


Dans un article publié le 25 juillet sur Rue89, le politologue Gaël Brustier analyse la mutation de la droite à l'occasion des manifestations contre le mariage homosexuel. Selon lui, "la France a vu se lever un vaste mouvement social et culturel de droite dont on aurait tort de mésestimer la puissance et la portée."

Selon une déclaration rapportée par Le Canard Enchaînédaté du 24 juillet, François Hollande penserait que la droite se radicalise comme le parti républicain aux Etats-Unis avec son courant ultra-conservateur du Tea party. Cette analogie vous paraît-elle juste ?

Geoffroy Lejeune : Non. Quand François Hollande parle en privé de "radicalisation", il ne fait que formuler son rêve le plus fou : qu’une partie de la droite se range aux positions du Front national, et que celui-ci atteigne 30% des voix au premier tour de la présidentielle de 2017, son assurance-vie pour être réélu… C’est, malheureusement pour lui, plus compliqué. La droite ne s’est pas "radicalisée", elle s’est réveillée. Certains de ses leaders ont compris que leur électorat se mobilise davantage pour ses valeurs que pour des questions de compétitivité et de déficits. Pour que la comparaison avec le Tea party vaille, il faudrait que la Manif pour tous et autres composantes issues de l’opposition au mariage homosexuel fassent de la politique. C’est loin d’être le cas. Rappelons aussi que le Tea party a été aspiré par le parti républicain aux Etats-Unis. Or, l’état de forme de l’UMP, ses querelles de personnes et son absence de ligne politique en font un piètre aspirateur à militants "radicalisés"…
Marika Mathieu : Dans le fond, de nombreuses positions du Tea Party divergent de ce que peuvent être les orientations du FN ou de la Droite forte. Mais dans la forme, l’analogie est juste car elle pointe le mouvement de radicalisation à l’œuvre au sein de l’UMP tout en indiquant que cette radicalité est à la fois absorbée et normalisée. L’analogie est d’autant plus juste que si le Tea Party a marqué un tournant de la droite américaine depuis 2008, il est aujourd’hui tenu pour responsable de l’échec des Républicains aux présidentielles. Est-ce le prisme qu’il faut appliquer à l’échec de Nicolas Sarkozy en 2012 ? Est-ce ce qui attend l’UMP sous l’emprise de Jean-François Copé et de la Droite forte ? En donnant une visibilité à un phénomène politique profond qui s’exprime aujourd’hui en France, François Hollande indique donc (sans le vouloir ?) le risque pour la droite de voir ses chances de victoire sapées par l’adoption de positions trop extrêmes.
Pierre-Henri d'Argenson : Non, l’analogie ne sert qu’à intimider la droite. C’est la stratégie de la gauche depuis Mitterrand, qui consiste à associer "droitisation" et fascisme, en brandissant le chiffon rouge de Vichy. La droite n’a jamais réussi à sortir de ce piège idéologique, qui a très bien fonctionné. Ce piège, c’était de dire : vous avez le droit d’être de droite, mais à condition de ne pas vraiment être de droite. D’où l’émergence du Front national, qui a cristallisé les interdits idéologiques de la droite, ce qui l’a divisée depuis 30 ans. Il n’y a pas de radicalisation de la droite, mais un rejet croissant, notamment par les jeunes générations, de la diabolisation ontologique du fait d’être de droite.

Au-delà de la comparaison avec le parti républicain américain, le politologue Gaël Brustier évoque sur Rue89 (lire ici) la naissance d’un vaste  mouvement social et culturel de droite. 2013 est-elle en train d'accoucher d'une "nouvelle droite" dont les médias et peut-être les leaders de droite eux-mêmes n'ont pas encore pris conscience ?

Pierre-Henri d'Argenson : Il n’y a pas de "nouvelle droite", il y a des gens de droite qui assument de défendre leurs opinions dans le champ social et politique sans céder à l’intimidation. Une partie des médias ne veut pas le reconnaître, car ils ont été les principaux acteurs de cette intimidation idéologique. Leurs oukases ne fonctionnent plus, et ça les dérange terriblement. Quant aux leaders de droite, ils sont confrontés à un problème qui est d’ordre générationnel : les jeunes sont plus à droite qu’eux, qui appartiennent pour la plupart à la mouvance libérale ayant profité des trente glorieuses, du cumul des mandats, de l’endettement sans limites, de l’immobilier pas cher et des retraites garanties. Il y a un choc des cultures. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Droite forte, la motion la plus à droite de l’UMP, est portée par les plus jeunes, à qui l’on savonne bien la planche.
Marika Mathieu :  2013 n’est que la dernière pluie d’un mouvement entamé depuis bien plus longtemps. Dès 2002, Nicolas Sarkozy déclare : "Au fond, j’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées". C’est la première fois qu’un homme de droite assume cette bataille-là. Faisant référence à Gramsci, Nicolas Sarkozy indique donc se lancer dans une "bataille culturelle" visant une véritable révolution des "consciences" politiques. Son premier combat sera de démontrer que la sécurité est avant tout au service des plus pauvres. D’autres suivront, dont celui relatif à "l’identité nationale",  jusqu’à l’été 2010 qui marque comme le choix de s’en tenir à un (vieux) domaine de prédilection pour la "nouvelle droite" : l’immigration.
C’est en soi le tournant d’une droite abandonnant le terrain économique et social pour se rendre presque entièrement sur celui de l’ordre et de la morale. Au cours de mon enquête sur la Droite forte, je discutais avec l’ancien conseiller à l’Elysée Eric Schahl (membre de la Droite forte) qui indiquait que le principal apport de Patrick Buisson était d’avoir décoincé l’UMP sur ce deuxième terrain. Eric Schahl m’a résumé les choses ainsi, et je trouve cela très éclairant de ce que nous observons actuellement : "Pendant trop longtemps, l’économique et le social étaient la martingale de l’UMP. Le seul truc sur lequel on est d’accord, c’est de dire que la gauche est économiquement irresponsable et nous inversement. Au bout d’un moment, quand vous êtes dans l’opposition, ça peut marcher parce qu’il suffit de taper sur les erreurs économiques du gouvernement pour faire l’unité. Mais, quand vous êtes au pouvoir et que les résultats ne sont pas suffisamment satisfaisants, on ne peut plus se contenter de ne parler que de l’économique et du social, il faut parler des sujets de société." Pour paraphraser Jaurès (que la Droite forte adore citer) : le sociétal se fait la patrie de ceux qui n’ont plus rien. C’est donc l’histoire d’un renoncement plus que d’une révolution culturelle, et si chacun se fait timide à l’idée d’en parler, c’est que beaucoup doutent du discours qu’ils ont à lui opposer.
Geoffroy Lejeune : Évidemment, et la jeunesse qui s’est levée dans la rue en 2013 surprendra encore à l’avenir ses aînés, ainsi que les médias et les politiques. Parce qu’elle est "rebelle", libre, inventive, politique, elle désarçonne tout ce petit monde. Les médias ont essayé – en vain – de la caricaturer comme une jeunesse extrémiste ou tristement catho-tradi ; les politiques – notamment à l’UMP - ont cru l’appâter avec des discours politiciens convenus sur la "reconquête" dès les municipales…pendant que ces jeunes suivaient les coureurs du Tour de France avec leurs drapeaux, sifflaient Hollande sur les Champs-Élysées ou "veillaient debout" place Vendôme pour protester contre l’incarcération d’un des leurs ! Le mouvement politique issu de la Manif pour tous est bien plus libre qu’ils ne le croient, a d’autres ambitions que celle, pourtant louable, de siéger dans des conseils municipaux : il veut mettre ses idées au pouvoir.

La question du mariage pour tous a-t-il été l’élément déclencheur de cette mutation ? 

Geoffroy Lejeune : Oui, parce qu’elle a été la première occasion pour cette nouvelle génération qui s’ignorait encore il y a un an de s’affranchir des conventions et de se mobiliser massivement. L’enjeu des manifestations était tellement fort, ce texte de loi représentait un tel bouleversement anthropologique qu’il a agi comme un défibrillateur. Les mois de débats et de manifestations ont aussi permis, à droite, de faire tomber les masques : on sait aujourd’hui lesquels – Guaino, Mariton, Wauquiez, Peltier…- se sont opposés courageusement, lesquels – Le Maire, NKM –  ont déçu leur électorat en s’abstenant et lesquels – Bachelot, Apparu, Riester - ont soutenu le texte avec la gauche. 
Marika Mathieu : Je n’y vois pas l’élément déclencheur mais l’expression d’un état moral d’une partie de la population qui pourrait, à terme, renforcer les positions ultra-conservatrices de la droite. Les manifestants se sont révélés ultra-sensibles aux sujets touchant à l’ordre, à la transmission et à l’avenir. Le doute quant à la capacité de nos structures politiques à assurer une permanence de la cité est assumé.
Cet état de l’opinion est le fruit d’un discours politique visant à exacerber les thématiques identitaires plus que toutes autres, mais il le dépasse également. Le "peuple de droite" se défie de l’UMP comme du PS, et les dirigeants de droite n’ont fait que courir après ce qu’ils ont contribué à soulever. La Droite forte s’est par exemple organisée de manière à "coller" au mouvement mais ne l’a pas engagé et a surtout œuvré pour en incarner la suite, à savoir la promesse de revenir sur la loi en cas de retour aux affaires.
Le mariage gay démontre plutôt le fonctionnement actuel de la droite qui capitalise sur la peur et les colères d’un peuple en perte de repères. Elle n’y répond pas. Elle les poursuit. 
Pierre-Henri d'Argenson : Oui et non. La "Manif pour tous" n’est pas un mouvement politique unitaire, et il ne faut justement pas réduire la renaissance d’un "peuple de droite" à une mouvance catholique conservatrice uniquement préoccupée par le mariage gay et le statut de l’embryon.La m anif pour tous est une réaction viscérale, culturelle, c’est un rejet de l’ordre idéologique libertaire qui est né dans les années 1960 et qui est aujourd’hui à bout de souffle.

Pour définir cette droite, Gaël Brustier parle de "populisme identitaire".  Quelles sont les spécificités de cette nouvelle droite ? Comment la définiriez-vous ? 

Pierre-Henri d'Argenson : Je refuse l’expression "nouvelle droite", qui est idéologiquement marquée et qui est utilisée pour décrédibiliser la renaissance d’un corps doctrinal de la droite en phase avec son temps, qui n’est ni le retour du gaullisme ni de la révolution nationale. Je l’appellerais plutôt "la droite jeune", dans le sens idéologique et aussi générationnel.C’est une droite qui croit encore à la nation, à son Histoire, au prix et à la dignité de la vie humaine, à l’importance des grandes institutions collectives (l’école, l’armée, la famille). Elle veut penser que l’héritage judéo-chrétien de la France est encore vivant et fait partie de son identité, mais sans en faire un combat au service de l’Eglise. Elle est très attachée à la laïcité. Elle croit à l’Europe des peuples, pas à celle des bureaucrates. Elle est attachée à la défense de l’environnement. Et, surtout, peut-être, elle est porteuse d’une certaine vision de l’homme qui ne se réduit pas à un consommateur béat et repus. Elle est avide de donner du sens à son travail, à son action. Elle est très créative, et très idéaliste, en contrepoint du matérialisme jouisseur de la génération 68. Il y a quelque chose là-dedans qui dépasse les questions de clivages politiques.
Marika Mathieu :  Gaël Brustier évoque "les paniques morales", concept qui désigne un réflexe de protection face à une attitude minoritaire jugée dangereuse pour la société. Que cette attitude "dangereuse" soit celle de la gauche "illégitime", «dispendieuse", "sectaire", ou celle des musulmans-immigrés dont le dessein ne saurait être autre que de saper de l’intérieur les fondements d’une société laïque, une partie de la droite s’emploie en effet à désigner les coupables d’un mal plus grand, jamais nommé mais qui nous ronge.
Cette nouvelle droite dont la "Droite forte" est le symptôme le plus criant, est avant tout manichéenne et réactive. Elle s’empare des impensés de la droite comme de la gauche, la vraie droite n’a commencé qu’avec la politique "sans tabou" de Nicolas Sarkozy et si celui-ci n’est pas assez loin, elle promet de mettre à terre les derniers freins. Par sa dimension anti-élite à la limite de l’antiparlementarisme, elle s’ancre dans le populisme culturel et s’offre comme rempart protecteur pour un art de vivre qui se perd. Elle use de quelques références maurassiennes qu’elle maitrise mal, elle surfe sur l’euroscepticisme devenu marqueur du peuple réel contre les élites bruxelloises. Elle fait appel au patriotisme et à la laïcité afin de défendre ces "racines chrétiennes" que l’immigration "incontrôlée" grignote depuis tant d’années de laxisme politique. Elle assume pleinement le "devoir" de s’adresser aux électeurs du FN sur les thématiques qui leurs plaisent. Sans pour autant faire baisser le Front, elle travaille à rendre les limites partisanes indistinctes et table sur l’indifférence des discours pour renouer les fils d’une grande famille de droite. Au fond, la nouvelle droite travaille à l’effondrement de toute pensée idéologique claire.
La "nouvelle droite" prend les conséquences d’une immense crise politique pour solutions. C’est la politique du pire mais elle ne doit son ascension qu’à la médiocrité des discours qui lui sont opposés, y compris au sein de l’UMP modéré. Son constat est juste : on ne travaille pas assez en politique (droite et gauche comprises) et je pense que c’est sur cette base qu’elle bâtit son succès.
Geoffroy Lejeune : Elle est profondément décomplexée, et pas au sens où l’entend Jean-François Copé. J’ai entendu des manifestants crier "On veut Marion, pas Mariton !" pour reprocher à Hervé Mariton d’avoir dit qu’il célèbrerait des mariages homosexuels, et pour remercier Marion Maréchal de les avoir suivi jusqu’au bout, lors des manifestations contre l’incarcération de Nicolas. La question du FN, notamment, ne les embarrasse pas : ces jeunes se moquent des appareils, du qu’en dira-t-on, ils ont conscience d’être à la pointe d’un combat pour la civilisation, et ont réussi, pour le mener, à détourner avec talent les codes de Mai 68 ! En cela, l’expression "populisme chrétien" du politologue Patrick Buisson me paraît plus appropriée.

Quelles sont ses bases sociologiques ? Diffèrent-elles de celles de la "droite classique" ? 

Pierre-Henri d'ArgensonSa base sociologique, c’est la jeunesse ! Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui c’est la gauche qui est réactionnaire, et avec elle une partie de la droite. Il y a une guerre inter et intragénérationnelle qui ne dit pas son nom, entre une élite qui a joui de la croissance et qui endette la France depuis 30 ans pour préserver son niveau de vie, et qui pour cela a aussi précarisé le travail, créé l’immigration de masse et ouvert nos marchés à l’importation de produits à bas coût, et un peuple, jeune mais aussi moins jeune, qui en a subi toutes les conséquences : allongement interminable des études, chômage de masse, pré-retraites, stages non rémunérés, CDD, violence scolaire, ghettos urbains, désindustrialisation, déclassement, éclatement des familles, etc. Et on s’étonne avec ça que les jeunes ne font plus confiance aux politiques !

Geoffroy Lejeune : Le géographe Christophe Guilluy a écrit que les manifestants contre le mariage homosexuel étaient pour la plupart issus de la bourgeoisie de l’ouest parisien. C’est sans doute vrai, et en cela, la base sociologique de cette "nouvelle droite" ne diffère pas tant de la droite classique. En revanche, elle préfigure une droite totalement décomplexée, que la logique voudrait voir s’associer un jour dans les urnes avec la grande majorité des classes populaires qui voit leur monde traditionnel s’effondrer, leurs repères s’envoler, leurs frontières disparaître. En cela, cette droite est plutôt une avant-garde.

Gaël Brustier évoque une fusion tendancielle des différents électorats de droite et d’extrême droite.  Partagez-vous  son analyse ?

Pierre-Henri d'Argenson : Pas du tout, une "fusion des électorats", cela ne veut rien dire.Comme toujours, c’est une manière de diaboliser les électeurs de la droite "classique" en les "lepénisant". En revanche, il y a une réappropriation par la "droite classique" des thèmes portés par le FN, qui étaient frappés d’interdit depuis des années. Cela pose évidemment un problème politique majeur à l’UMP, qui avait réussi à compenser la hausse du FN en gagnant sur le Centre. Mais à moins d’aller encore plus à gauche, il n’y a plus d’électeurs à gagner au Centre, alors qu’il y a une fuite du côté de l’aile droite. En clair, la "droite classique" ne pourra plus longtemps faire cohabiter les idées de la Droite forte et de l’UDI, qui ne sont pas conciliables.
Marika Mathieu :  Oui (toutes les études en attestent clairement depuis la campagne 2012) et je me demande de plus en plus pourquoi en serait-il autrement. Depuis combien de temps n’a-t-on pas entendu clairement ce qui sépare l’UMP du FN ? Depuis combien de temps la seule limite morale sert-elle de rempart en lieu et place d’une définition des règles de la République et de la responsabilité politique ? La Droite forte propose une "Charte des musulmans" qui aurait valeur de loi afin d’obliger les musulmans de France à respecter la loi. En échange, ils auraient le droit de construire des mosquées. Une loi pour respecter la loi donc, à seule destination d’une communauté religieuse qui verrait ainsi conditionné son droit à disposer d’un lieu de culte. Combien de règles de la République sont bafouées dans cette seule proposition ? Comme on a pu le dire sur le FN : justesse des constats (défiance vis-à-vis des élites, tabous de l’immigration, déclassement social), aberration des solutions. La Droite forte est le courant majoritaire au sein de l’UMP qui s’éloigne à marche forcée de son alliance centriste comme de son héritage gaulliste. Une vraie machine à perdre.
Geoffroy Lejeune : La fusion existe déjà. C’est en récupérant une partie de l’électorat frontiste que Sarkozy a gagné en 2007 ; c’est en menant sa campagne "au peuple" qu’il a limité l’hémorragie en 2012. Plus que jamais, ces électorats sont poreux, avec des zones (notamment dans le sud-est) où la frontière n’est plus perceptible. La question est, pour la "droite d’en haut", d’assumer ses valeurs et de contenter cette base, sans quoi celle-ci se détournera inévitablement vers le Front national.



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