mercredi 6 mars 2013
Le projet de fiscalité numérique, symbole du dirigisme français
Le rapport Colin-Collin sur la fiscalité numérique illustre le dirigisme français et ses impasses.
Collin (Pierre) et Colin (Nicolas) sont les Dupont et Dupond du numérique. Déconnectés de la réalité économique, ils viennent de remettre aux quatre ministres de Bercy un rapport sur la fiscalité de l'économie numérique qui devrait rentrer dans les annales du dirigisme à la française.
Le rapport s'ouvre sur un constat terrible, une blessure qui ne cessera de tarauder les auteurs tout au long du texte : « Alors même que l'économie numérique investit l'intimité de milliards d'individus, sa valeur ajoutée nous échappe. » Nous ? Qui, nous ? Mais l’État, voyons. Le scandale est pourtant visible. Alors que le taux de prélèvements obligatoires doit augmenter de 1,4 % l'an prochain, faisant de la France le pays le plus taxé de l'OCDE, il semblerait qu'une manne ait échappé au fisc.
Pis encore, le numérique introduirait un élément détestable entre tous : la concurrence, qui met à mal les intermédiaires traditionnels. Les auteurs n'hésitent pas à qualifier cette combinaison de manque à gagner fiscal et de pression à la baisse sur les prix, de « spirale mortifère pour l'économie des États industrialisés » : quelle honte, en effet, que le marché s'exerce librement au bénéfice du consommateur !
Est-ce à dire que les grandes entreprises du Net, les Google et les Amazon, ne payent pas l'impôt sur les sociétés ? Non, bien sûr, et nos Col(l)in évitent finement l'écueil qui consisterait à dénoncer exclusivement les stratégies d'optimisation fiscale en proposant de vagues processus d'harmonisation internationale. Car ils se réservent un outil autrement diabolique.
Dans la géniale tradition créatrice des fiscalistes français, les auteurs identifient en effet des « gains de productivité » cachés, fournis par le « travail gratuit » des internautes qui s'inscrivent en ligne et communiquent leurs données privées. Cette masse d'information alimente en effet la stratégie de ciblage marketing et de publicité en ligne des grands groupes. Et voilà le cœur du scandale pour Col(l)in : que le travail puisse être gratuit, qu'il échappe ainsi aux charges sociales et au droit du travail, à la vigilance débonnaire de l’État !
Heureusement, les auteurs proposent une solution simple et juste pour remettre le travail gratuit sur le droit chemin de la fiscalité : déterminer la quote-part des bénéfices liée à l'exploitation de données issues du suivi régulier et systématique des internautes sur le territoire national… Autrement dit, si un Néo-Zélandais a le malheur de remplir un formulaire informatique via un réseau français, son « travail » rentrera automatiquement dans le calcul du fisc. Un jeu d'enfant administratif, on s'en doute. En attendant que la communauté internationale tombe en pâmoison devant cette nouvelle méthode de renflouer les déficits, les auteurs, jamais à court d'imagination, suggèrent d'imposer le principe du « prédateur-payeur » aux entreprises classiques (oui, les vraies entreprises, celles-là même qui ne payent en moyenne, en France, que 65,7 % d'impôts selon une récente étude de la Banque mondiale). Ainsi les entreprises qui s'en tiendraient « à une application formelle du droit en vigueur » (sic) et oseraient utiliser les données personnelles collectées légalement seraient lourdement taxées.
On voit la philosophie qui sous-tend les conclusions de Col(l)in : il est inacceptable que les entreprises du numérique puissent se débrouiller seules. Il faut que ce soit l’État qui oriente leurs efforts de R&D. Et à cette fin, bien sûr, comment ne serait-il pas légitime de « générer les recettes fiscales nécessaires à l'accompagnement de cette transition par la puissance publique » ? Car seule une « politique industrielle volontariste » pourra développer le numérique.
Comme les Dupont et Dupond arrêtant Tintin dans Les Cigares du pharaon, nos Col(l)in se sont trompés de coupable en s'acharnant sur les entreprises.
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