Arrivé au pouvoir en 1999, il a réussi à s'y maintenir jusqu'à son décès, mardi, des suites d'un cancer du colon.
mercredi 6 mars 2013
Hugo Chavez, le fin d'un provocateur
Hugo Chavez aimait cultiver son image de dirigeant incontrôlable, fantasque, imprévisible comme s'il était entré en 1999 au palais présidentiel de Miraflores par hasard et sans préparation. La réalité est toute différente. Il a très tôt dans sa vie conçu le projet de diriger le Venezuela et n'a jamais perdu cet objectif qu'il a fini par atteindre en 1999. Il venait de se faire réélire à la tête du Venezuela le 7 octobre 2012.
Un cancer dans la région pelvienne détecté à Cuba en juin 2011 a eu raison du leader bolivarien, après quatre opérations chirurgicales infructueuses. «Nous avons reçu l'information la plus éprouvante et la plus tragique que nous puissions annoncer à notre peuple. À 16H25 aujourd'hui 5 mars, est mort notre commandant président Hugo Chavez Frias», a déclaré à la télévision publique le vice-président vénézuelien Nicolas Maduro.
Son ami d'enfance, Federico Ruiz, raconte cette anecdote : «En 1983, nous sommes partis nous promener tous les deux dans un Dodge Dart qui lui appartenait, avec une bouteille de rhum. Il m'a dit : “Sais-tu une chose ? Un jour, je serai président de la République.”» Federico poursuit: «Alors tu me nommeras ministre de je-ne-sais-quoi, ai-je plaisanté… Mais je me suis rendu compte qu'il parlait sérieusement…»
Né le 28 juillet 1954, il évoquait, dès 1977, la vision messianique de son destin dans son journal intime : «Je dois me préparer pour agir… Mon peuple est passif… Les conditions ne sont pas réunies. Pourquoi ne pas les créer…» En 1977 en effet, le pays connaît une situation politique stable et économique florissante qui rendait incongrue toute tentative de renversement du régime.
Il est entré dans l'armée en 1971 pour devenir champion de baseball. Mais très vite son frère aîné Adan, membre du Parti révolutionnaire vénézuélien, lui enseigne les rudiments de la pensée révolutionnaire. Petit à petit, le jeune Hugo entre en contact avec des groupes clandestins de l'armée qui fomentent des projets pour renverser le pouvoir en place. Avec ses camarades, ils rêvent de reproduire l'expérience du général Velasquez au Pérou ou de Trujillo au Panama. Hugo Chavez raconte son voyage à Lima en 1974 pour la célébration de la bataille d'Ayacucho : «J'avais 20 ans, j'étais en dernière année d'académie… J'ai rencontré personnellement Juan Velasco Alvardo (renversé quelques mois plus tard). J'ai lu pendant des années son manifeste révolutionnaire, La Revolucion nacional peruana que le général péruvien lui avait offert.» Hugo Chavez résumait ses influences ainsi : «Torrijos m'a converti en torrijiste, Velasco en velaquiste et Pinochet en antipinochet » et non en allendiste, le président socialiste chilien qui s'est suicidé lors du bombardement du palais présidentiel chilie Un héros national a pris une place privilégiée dans la pensée politique d'Hugo Chavez : Simon Bolivar, dont il n'hésite pas à «interpréter » les théories, pour en faire un nationaliste promoteur de la démocratie et défenseur du droit des plus faibles et des peuples indigènes. Un vrai anachronisme qui transforme el Libertador en combattant prémarxiste. Le 24 juillet 1983, lors du 200e anniversaire de la naissance du héros national, Hugo Chavez fonde au sein de l'armée le Movimiento bolivariano revolucionario 200 (MBR 200). Après une longue préparation, le MBR 200 organise finalement un coup d'État, le 4 février 1992. De nombreuses casernes se soulèvent à travers le pays. Ironie de l'histoire, Fidel Castro, autre grand modèle d'Hugo Chavez, enverra un message de soutien au président Carlos Andres Perez.
À Maracaibo, Valencia ou Maracay, les forces putschistes tiennent les principaux points névralgiques, mais à Caracas, les choses s'avèrent plus compliquées: la tentative de capture du président Carlos Andres Perez échoue et les forces loyalistes font plus que résister. Très vite, Hugo Chavez comprend que la partie est perdue. Il décide de se rendre, alors que ses camarades de province continuent le combat. Car Hugo Chavez a un projet politique personnel et il sent que son heure n'est pas encore venue. Il se rend au ministère de la Défense et dépose les armes. Les autorités lui demandent de faire une allocution télévisée pour appeler ses compagnons à se rendre. Le message devait initialement être contrôlé mais, par manque de temps, il est enregistré sans préparation. Hugo Chavez en profite alors pour dire : «Compagnons, lamentablement, pour le moment, les objectifs que nous nous étions fixés n'ont pas pu être atteints dans la capitale » Pour le moment ! Une fois président, il fera du 4 février le jour de la Dignité nationale.
Il reste deux ans en prison. Le président Perez est destitué en 1993 pour détournement de fonds publics. Le président Rafael Caldera qui lui succède gracie Hugo Chavez, l'estimant moins dangereux hors de prison. Libéré le 26 mars 1994, Hugo Chavez entreprend un long voyage à l'intérieur du Venezuela.
Il vivra deux ans dans une camionnette sillonnant tout le pays pour rencontrer le Venezuela de l'intérieur. Il s'installe ensuite à Caracas dans un petit appartement où vit la famille de son ami Luis Miquilena. Ce vieux communiste réussit à le convaincre que les urnes sont un moyen plus efficace pour entrer au palais de Miraflores qu'un coup d'État. La situation politique est très instable et les partis politiques traditionnels totalement discrédités.
Un an avant l'élection présidentielle de 1998, c'est une ex-reine de beauté qui est en tête dans les sondages. Maintenant qu'Hugo Chavez est convaincu qu'il doit gagner les élections, son discours se fait plus politique, il promet une nouvelle Constitution, la fin de la corruption, l'augmentation des salaires. Il veut incarner l'antipolitique et y parvient.
Il gagne avec 56 % des voix la présidentielle. Prêtant serment le 2 février 1999, il jure «sur la Constitution moribonde qu'il impulsera les changements démocratiques nécessaires ». Il organise ensuite une série de scrutins qu'il emporte haut la main : référendum, constituante, nouvelle présidentielle, législatives. L'opposition semble écrasée, sans capacité de réagir.
Depuis sa première victoire dans les urnes en 1998, Chavez a toujours conservé une forte popularité grâce, notamment, à ses programmes sociaux qui ont amélioré la vie de millions de Vénézuéliens jusque-là exclus des bénéfices d'une fantastique rente pétrolière. Mais son allié le plus efficace a toujours été l'opposition, qui a accumulé les erreurs. Le 11 avril 2002, un putsch est organisé contre lui. Il suit les conseils de Fidel Castro qui, dans la nuit où le président est arrêté, lui explique au téléphone : « Négocie avec dignité, ne va pas t'immoler… » Les hésitations et les incohérences dans les rangs des putschistes finissent par remettre Hugo Chavez en selle et lui permettent de gagner l'image de garant de la stabilité.
Mais cela ne suffit pas à l'opposition. Une «grève insurrectionnelle » débute en décembre 2002 dans l'industrie pétrolière. Elle est organisée par la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV) et la fédération patronale, Fedecamaras. L'activité de PDVSA, la compagnie pétrolière nationale, est totalement bloquée. Les livraisons de pétrole aux États-Unis sont interrompues. Hugo Chavez utilise la solidarité avec les autres pays producteurs de pétrole pour honorer les contrats internationaux du pays. La grève durera deux mois et son but est clairement la destitution de Chavez. L'opposition en sort laminée. Hugo Chavez licenciera plus de 19 000 salariés de PDVSA, soit la moitié de l'effectif.
L'opposition fera une nouvelle erreur en refusant de se présenter aux législatives de 2005, permettant aux partisans de Chavez d'occuper tous les sièges et laissant le pouvoir chaviste sans contrôle.
Ces années de pouvoir ont révélé un Chavez provocateur, cabot, combatif, surprenant parfois, mais surtout un homme qui adorait se mettre en scène. Chaque dimanche, il apparaissait dans un programme appelé «Alo presidente ». L'émission commençait en général vers 11 heures du matin pour durer plusieurs heures. Sans plan précis, le programme avançait grâce aux talents d'improvisation du président. Il n'était pas rare qu'il pousse la chansonnette ou récite des poèmes. Il pouvait aussi licencier en direct des personnages importants de son administration ou annoncer la nomination de ministres clés, comme il le fit en 2004 en révélant le nom des nouveaux ministres des Relations extérieures et de l'Information. Ces dernières années, il avait habitué les Vénézuéliens à nationaliser des entreprises en direct.
En février 2010, passant devant l'immeuble La France situé sur la place Bolivar au centre de Caracas, il demande : «Cet immeuble, c'est quoi ?» Un immeuble qui regroupe des bijoutiers, lui répond-on. «Qu'on le nationalise !», s'écrie-t-il. On apprit ensuite que l'immeuble appartenait à l'Université, donc à l'État.
Il multipliait les propos outranciers contre Israël ou les déclarations belliqueuses contre Washington, tout en continuant de livrer son pétrole aux États-Unis. Il s'était montré en compagnie de hauts responsables des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie), au balcon de Miraflores. Il aimait surprendre aussi, comme lorsqu'il lança à Barack Obama récemment élu, lors du sommet de Trinidad en avril 2009: «Je veux devenir votre ami .» Il lui offrit un livre dénonçant les forfaits commis par les États-Unis en Amérique latine, Les Veines ouvertes de l'Amérique latine, d'Eduardo Galeano. Ce jour-là, il laissa à Evo Morales, le président bolivien, et Daniel Ortega, son homologue nicaraguayen, le soin d'attaquer Washington.
Hugo Chavez laisse un pays économiquement affaibli. La production pétrolière stagne depuis que tous les cadres ont été licenciés, l'exploitation gazière ne décolle pas, les industries de l'aluminium et du ciment, florissantes à la fin des années 1990, sont pratiquement arrêtées depuis leur nationalisation. L'insécurité atteint des niveaux intolérables et l'inflation dépasse allégrement les 20 %.
Hugo Chavez a officiellement appelé à voter pour son vice président, Nicolas Maduro, lors de l'élection présidentielle qui sera organisée dans les semaines qui viennent. Mais le chavisme peut-il survivre à la mort de son mentor?
Rien n'est moins sûr.
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