TOUT EST DIT

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mercredi 6 mars 2013

Déesse K

Déesse K


Elle était vieille, elle était grosse, elle était moche. Elle était misanthrope, elle était vulgaire, elle était insensible et elle était mesquine. Elle était égoïste, elle était brutale et elle n'avait aucune culture. Et j'ai été fou d'elle. (...) Je n'ai jamais cessé de la voir telle qu'elle était : une truie. C'est ma compassion pour ces animaux si décriés qui a éveillé mon intérêt pour elle. Elle était la grande persécutée, la chèvre émissaire. Je me suis senti obligé de prendre sa défense pour dire : "Les truies ont le droit d'être des truies. Une société qui met ces créatures en prison aux seuls motifs qu'elles ont des goûts propres à leur espèce n'est pas une société libre et juste." (...) C'est parce qu'elle était une truie que je suis tombé amoureux d'elle. Cela a été l'expérience la plus poétique, la plus dense, la plus cruelle, la plus puissante de ma vie. La truie a un rapport au présent que les humains n'ont pas. Elle ne cesse de se réjouir de la chance inouïe qu'elle a d'être vivante, de manger, de courir, de salir, de blesser, de ressentir. (...) La liste de ses amants, de ses conquêtes d'un jour, de ses victimes, de ses gigolos successifs et concomittants, dont la presse ne cessait de s'horrifier et de se régaler, montrait un autre aspect émouvant de sa vie de truie. Ces hommes étaient laids et vulgaires. Comme si en chercher de beaux était une manière d'être plus femme que truie. (...) Je pensais, ébahi : "Plus ils sont moches et vulgaires, plus ils doivent lui plaire." Certains prétendent qu'elle n'avait pas le physique pour trouver mieux. Mais je ne me suis jamais rallié à cette hypothèse mesquine. J'étais sûr que, si on la faisait choisir entre Brad Pitt et un laideron, elle aurait choisi le laideron. Son désir de laideur était pour moi un signe de son appartenance à cette race férocement antiaristocratique, tragiquement démocratique des truies. (...) Ce qui s'est passé dans cette chambre [du Novotel, NDLR] devenue légendaire ne peut se comprendre si l'on ne se met pas dans la tête d'une truie authentique et véritable. D'une truie qui prend un homme de ménage pour Alain Delon dans Le Guépard. Seule une truie peut trouver normal qu'un misérable immigré africain lui suce la chatte sans aucune contrepartie, juste pour lui faire plaisir, juste pour rendre un humble hommage à sa puisssance. Et le pauvre est revenu dans la chambre pour voir si elle avait laissé un pourboire mais il n'y avait rien. Même pas un mot, même pas une fleur. (...) Très peu de gens savaient que son mari avait fait d'elle une chienne. (...) Elle ne pouvait pas envisager de le quitter parce que cette vie de luxe-là, c'était impossible d'y renoncer. Impossible une fois qu'elle y avait goûté. (...) C'est pourquoi il la possédait, c'est pourquoi elle était devenue sa chienne, une féministe qui se sent une misérable chienne. Et plus il faisait semblant de ne pas se rendre compte qu'elle était enchaînée à lui pour son argent, plus il la possédait, plus il la soumettait à cette humiliation, à cette terrible prostitution.
Remerciements spéciaux à Marcela Iacub et aux éditions Stock.


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