TOUT EST DIT

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mardi 19 mars 2013

Impopularité record, motion de censure, partielle catastrophique : le gouvernement paye-t-il le prix de la crise ou de son incompétence ?


Après l'impopularité grandissante du président de la République et la menace d'une motion de censure à l'Assemblée nationale, le Parti socialiste a essuyé un nouveau revers ce week-end avec l'élection législative partielle dans l'Oise, où sa candidate a été éliminée dès le premier tour.

L’ensemble de l’opposition s’accorde à considérer la défaite du PS au premier tour de l’élection législative partielle dans l’Oise comme un vote sanction à l’encontre du gouvernement et de sa politique. Par ailleurs, de nombreux articles venant de médias de droite et de gauche ont souligné l’incompétence du gouvernement et l’ont attribuée à différents facteurs : choix des ministres, composition des cabinets, communication à sens unique. Cette incompétence est-elle réelle et est-ce cela que paie aujourd’hui le Parti socialiste ?

Les deux nuls.
Jean-François Kahn : Je trouve cette affirmation indulgente. S’il ne s’agissait que d’un problème de communication, il serait possible d’y remédier facilement. Hélas, la situation est pire. L’élection de l’Oise, qui intervient quelques mois après d’autres élections législatives qui étaient déjà terribles pour le PS, représente plus qu’un signal d’alarme. La situation est catastrophique et pas seulement pour le PS. Elle témoigne d’un écroulement du PS, mais cela n’est pas bon non plus pour l’UMP.  Le vrai vainqueur est en fait le Front national.
Je ne sais pas s’il s’agit d’incompétence, car les membres du gouvernement sont très compétents comme ce fut le cas pendant le quinquennat de Nicolas de Sarkozy. Nous sommes dans un régime présidentiel et ce régime est pervers, notamment parce que dans une période de non-cohabitation, tout dépend du président. Même si tous les ministres étaient compétents – et ce n’est pas le cas – dans ce régime, il suffit que le président soit incompétent. Néanmoins, je ne crois pas que François Hollande soit incompétent. Le problème réside dans le fait qu’il ne porte pas de projet, il ne trace pas de perspectives, il ne dégage pas d’énergie, il n’est pas mobilisateur. Nous sommes dans une mutation radicale de société, et le peuple a besoin de quelqu’un qui incarne un projet. Aussi intelligent et sympathique qu’il soit, François Hollande ne porte pas ce projet et ne le portera jamais. Cela s’ajoute à la crise et au bilan calamiteux de Sarkozy. Mais plus le temps passe, moins cet élément entre en ligne de compte. 
Guillaume Tabard : Je n’emploierais pas le terme d’incompétence, et quoi qu’il en soit, ce n’est certainement pas ça qui explique les résultats des élections partielles de ces dernières semaines. Il y a effectivement eu un certain nombre d’erreurs de communication, de "bêtises" qui ont été commises par les différents membres du gouvernement, comme la déclaration de Victorin Lurel, mais cela n’est pas un cafouillage puisqu’il a prononcé cela en toute connaissance de cause. Ce n’est donc pas une erreur technique de communication mais une véritable erreur de fond et d’analyse. En s’enchaînant de cette manière, cette accumulation pèse bien évidemment sur la popularité du gouvernement mais ce n’est pas la raison principale de l’échec aux législatives partielles. La première cause de cette défaite est tout à fait classique puisque ce genre d’élection est traditionnellement mauvais pour le pouvoir en place. D’autre part, cette défaite est aussi le signe d’un désaveu cuisant de la politique du gouvernement socialiste, c’est un rejet profond vis-à-vis de son action. 
Sophie Pedder : Il ne me semble pas que l’on puisse parler de la situation en ces termes de compétence ou d’incompétence car les résultats de cette élection sont la conséquence d’une confusion des électeurs. Celle-ci n’est pas tant due à l’incompétence mais plutôt au fait que les Français ont l’impression de subir une politique qui n’est pas celle qu’ils ont choisie. C’est le fond du problème, tous les choix difficiles que fait le gouvernement, notamment au niveau de la dépense publique, n’ont pas été réellement débattus au cours de la dernière élection présidentielle. Ainsi, les Français sont à présent face à des problèmes que l’on tente de résoudre avec des solutions dont ils n’avaient pas connaissance. La question de la compétence n’en est donc pas vraiment une puisque ce qui est reproché au gouvernement est ailleurs. Il est dans la nature des choix que fait le gouvernement qui sont bien souvent mal compris. Pour autant, je ne crois pas que les Français soient déçus par sa façon de gouverner qui correspond à leur volonté de quelqu’un de moins hyperactif que Nicolas Sarkozy. François Hollande gouverne en accord avec sa personnalité.

François Hollande, élu sur la base du changement, est taxé mener une politique identique à celle de Nicolas Sarkozy. Ce changement, ou cette absence de changement, dans sa politique est-il la cause de sa cote de popularité dramatique ?

Jean-François Kahn : Il faut faire la différence entre ce que pense l’opinion publique et la réalité. Les citoyens estiment que François Hollande n’a pas tenu ses promesses mais ce n’est pas vrai. Hollande a tenu beaucoup de ses promesses, mais il s’agissait des mauvaises promesses. Sarkozy aussi a tenu toutes ses promesses alors que pour certaines, il aurait mieux valu qu’il ne les tienne pas.
Personne non plus n’estime que ce gouvernement est trop à gauche, et beaucoup pensent que Hollande mène la même politique de Sarkozy. Pourtant ce n’est pas tout à fait vrai non plus. Simplement, la politique n’est pas cohérente. Sarkozy a pu faire de graves erreurs mais au moins il était cohérent. 
Tout cela contribue à cette crise existentielle qui fait le jeu du Front national. Les gens ne sentent pas quel est le contenu et ne voient pas vers où nous allons. Je ne pense pas que l’on puisse améliorer profondément les choses dans le cadre de notre système. Mais quitte à essayer, qu’on nous dise où on va.
Si François Hollande continue sur cette voie, il n’est pas impossible qu'il réussisse à améliorer sensiblement l’équilibre des finances publiques. Mais d’ici qu’il y arrive, la gauche aura disparu. 
Guillaume Tabard : C’est effectivement le contenu de cette politique qui est désavoué ou en tout cas le décalage entre la réalité actuelle de ce contenu et ce qui en avait été perçu par les électeurs au cours de la campagne de François Hollande. Cette élection exprime la non-satisfaction des électeurs sur les solutions économiques et sociales proposées par le gouvernement qui s’est traduit par une véritable grève du vote des électeurs de gauche. La défaite ne s’explique pas simplement par une perte de dix points de la candidate socialiste mais surtout par une très grande abstention de son électorat qui est passé de 15 000 à 5 000 voix. Les attentes de ces électeurs étaient une évolution de la situation économique et sociale qui devait venir comme une rupture avec la politique de l’UMP. Les Français ont rendu Nicolas Sarkozy responsable de beaucoup de maux notamment son incapacité à faire augmenter le pouvoir d’achat comme il l’avait annoncé, et ont cru que l’alternance apporterait mécaniquement un effet inverse. François Hollande, qui s’était engagé sur des éléments très précis sur la réduction des déficits ou le retour de la croissance, traverse actuellement, comme Jacques Chirac en 1995 ou Nicolas Sarkozy en 2008 à cause de la crise, la période à laquelle il faut assumer que ce qui avait été annoncé n’est pas au rendez-vous. Comme ses prédécesseurs,François Hollande paie le prix de la parole politique et de la déception des électeurs qui ont voulu croire une nouvelle fois à une parole qui promettait le retour de la justice sociale et de la prospérité économique. Et c’est une chose qu’un président de gauche paie encore plus cher qu’un président de droite. L’erreur fondatrice de François Hollande est d’avoir annoncé l’inversion de la courbe du chômage car, au-delà de montrer une méconnaissance de la situation économique, cela donne aux Français l’impression que l’on se moque d’eux. 
Sophie Pedder : François Hollande a effectivement été élu sur la base de cette promesse de changement, mais la conjoncture et les questions auxquelles doit se confronter le gouvernement le conditionnent plutôt à gouverner dans un esprit du "le choc c’est maintenant". Bien qu’ils aient tous été prévisibles, les chocs sont nombreux. Qu’il s’agisse des réductions budgétaires, des fermetures d’usines, du chômage qui augmente inexorablement, ce qui dérange les Français c’est que François Hollande ne les avait pas présentés comme cela, et la vision qu’il avait donné du futur ne prend pas pied dans la réalité économique. Soit il a complètement sous-estimé cette réalité, soit il a menti au cours de sa campagne présidentielle. C’est cette prise de conscience qui est un choc pour les Français et qui les mécontente à ce point, alors qu’ils pensaient avoir élu quelqu’un qui allait "réenchanter le rêve français". Pire encore, il a continué à affirmer cela une fois président de la République en maintenant qu’il sauverait Florange ou Aulnay-sous-Bois et nous connaissons tous la suite.

Le gouvernement ne subit-il pas simplement les effets d’une crise économique qui a déjà fait des victimes chez nos voisins européens, italiens, anglais, espagnols et autres ? 

Jean-François Kahn : Je l’ai dit.J’ai écrit plusieurs articles sur le fiasco de la social-démocratie. C’est quand même extraordinaire, il y a encore six mois, on disait que la gauche était épouvantable et qu’il fallait qu’elle prenne le tournant social-démocrate. Elle l’a pris, mais c’est absurde parce que la social-démocratie s’effondre partout. L’Australie est encore un des seuls endroits au monde où elle est au pouvoir et elle va le perdre. Regardez la situation en Italie, perdre une élection contre Berlusconi, il faut le faire !
L’échec de la social-démocratie combiné à la crise économique du néolibéralisme est tel que les gens sont prêts à voter pour n’importe quoi d’autre. En Italie, c’est un clown qui l’emporte, en Angleterre c’est une droite souverainiste et chez nous c’est le Front national qui y gagne. Peut-être que si la gauche de la gauche n’avait pas un caractériel à sa tête, elle récolterait elle aussi les fruits de cette situation. 
Guillaume Tabard : Le cas de François Hollande face à la crise est un peu paradoxal car il a construit toute sa campagne autour d’un discours de connaissance de la crise et des solutions qu'il prétendait pouvoir y apporter pour la résorber. Il s’agissait là d’un vrai tournant pour un discours de gauche que de dire qu'il allait s’attaquer au déficit et à la dette. Il n’avait donc pas caché la situation aux Français mais il a maintenu une certaine ambiguïté sur son action future. Dans le cas des retraites par exemple, François Hollande n’a fait que retoucher la réforme de Woerth à la marge mais il a envoyé le symbole du retour, bien que ce ne soit que pour un groupe très réduit, à la retraite à soixante ans. Pourtant, si pour un moment il a donné l’impression de revenir sur une mesure considérée comme injuste, il finira par être contraint de faire machine à arrière ou de réformer à nouveau la retraite. 
Sophie Pedder : C'est un réel problème. Dans tous les pays démocratiques, les électeurs ne sont jamais satisfaits. C'est un phénomène de notre époque, où l'information est en continue, disponible pour tous, partout, tout le temps. Mais il ne faut pas oublier que d'autres dirigeants ont été réélu : on l'a vu avec Obama aux États-Unis. Il n'est pas impossible d'être réélu, même en période de crise sévère. On ne peut pas généraliser. Il s'agit d'un phénomène isolé d'une élection partielle, on ne peut pas le comparer à ce qui s'est passé en Italie. En période de crise où l'électorat sent que les hommes politiques sont impuissants, on assiste à une montée des extrêmes : on l'a vu en Italie et en France, où le FN est au second tour dans l'Oise, mais ce n'est pas suffisant pour généraliser. On ignore ce qui se passera dans quatre ans.

Quelles actions, quelle vision politique pourraient-elles permettre au PS de renouer avec son électorat ? Cela est-il encore possible ?

Jean-François Kahn : Dans mon livre, La catastrophe du 6 mai 2012, je disais que compte tenu du discours de François Hollande, ce dernier allait se planter. Sauf une correction de ligne de la part de la gauche, j’estimais que nous irions vers une montée du Front national et une radicalisation de la droite. C’est ce qui s’est passé. Je l’ai écrit cela n’a rien changé. Donc quoi que je vous dise cela ne changera rien. Néanmoins, je continue à penser que le PS devrait se dissoudre pour recréer autre chose. Le PS tel qu’il est ne correspond plus à rien. 
Guillaume Tabard : Je pense qu’il peut encore renouer avec son électorat s’il fait l’impasse sur sa popularité pendant l’année voire les deux ans à venir. François Hollande  peut gagner en 2017 s’il obtient des résultats concrets sur le déficit, la croissance et/ou le chômage par le biais de décisions qui seront nécessairement impopulaire et qui continueront de l’éloigner de son électorat pendant un certain temps. Il faut que François Hollande assume non seulement son impopularité mais aussi d’être traité de renégat par son propre camp. Il faut qu’il accepte une logique sacrificielle qui a été celle de Schröder en Allemagne qui, bien que maintenant considéré comme un exemple à suivre, a entraîné à l’époque son propre échec politique. 
Sophie Pedder : Il n'est pas trop tard. Il faut tenir un discours de vérité, combiné avec un discours de perspectives. Il faut bien expliquer aux Français pourquoi et comment on fait les choses, trouver une façon d'expliquer pourquoi on fait telle ou telle chose maintenant. On ne peut pas tenir un discours alarmiste sans avoir une perspective d'amélioration à long terme. Il faut donner aux Français des raisons de faire des sacrifices maintenant pour retrouver un dynamisme plus tard en plus de donner des perspectives et des objectifs concrets. Personne n'aime faire des sacrifices, c'est pourquoi il faut expliquer aux Français qu'ils verront demain la récompense des sacrifices d'aujourd'hui.

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