TOUT EST DIT

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jeudi 7 mars 2013

Dans la tête de Nicolas Sarkozy


L’ancien président de la République s’est construit une nouvelle vie dans laquelle il est heureux. A-t-il envie de revenir ? La réponse est non. Et s’il n’a pas le choix ? Il retournera au charbon. Pour la France. Pas pour la politique.
Dimanche 24 février. Il est 20 h 30. Dans les vestiaires du Parc des Princes un homme en costume gris foncé, chemise blanche et barbe de trois jours soigneusement entretenue, discute en an glais avec David Beckham et sa femme, Victoria. Il y a encore quelques mois, il était président de la République. Mais rien, à l’exception de sa rosette de la Légion d’honneur sur canapé doré ne peut le laisser deviner. Avec la nouvelle star du PSG, il parle football et s’enthousiasme, tel le supporter qu’il a toujours été : « Tu sais, lui dit-il, j’ai 58 ans, et jamais j’aurais rêvé de voir, en championnat de France, Beckham jouer avec Ibrahimovic ». Arrivent les parents du joueur anglais. Nicolas Sarkozy papote avec eux. Il blague. Détendu. Heureux. Simplement heureux. Il est l’heure pour les joueurs de rejoindre la pelouse. « Vous viendrez bien dîner à la maison ? », demande-t-il à David Beckham et à son épouse. Rendez-vous est pris.
Lundi 25 février. Il est 15 h 30. Un industriel arrive pour une entrevue avec l’ancien président de la République dans ses bureaux du 77, rue de Miromesnil, au moment où celui-ci raccompagne ses invités précédents. Des écrivains, des amis, des historiens. Il lui faut maintenant préparer une conférence qu’il doit donner à Abou Dhabi deux jours plus tard. Un déplacement qui l’empêche d’assister à la dernière audience papale réservée aux personnalités internationales, à laquelle Benoît XVI l’avait invité. Avec ce grand patron, la discussion tourne vite au tableau noir de la conjoncture. Nicolas Sarkozy a besoin d’être au fait de la détérioration du climat économique en Europe, avec cette Italie qui bascule dans le populisme de gauche et de droite.« Le problème, explique-t-il à son interlocuteur, c’est que plus rien n’est désormais possible entre la France et l’Allemagne. Hollande a cassé tout ce que j’avais réussi à construire avec Angela Merkel. Pas tellement parce qu’il ne s’entend pas avec elle, mais parce qu’il mène une politique exactement contraire à celle de l’Allemagne. »
Tout d’un coup, l’ancien président se fait plus grave. Lui qui était encore si détendu, la veille au soir, dans la loge présidentielle du Parc des Princes, à voir s’écharper le Paris- Saint-Germain et l’Olympique de Marseille, se tend comme un arc : « Tu sais, dit-il à cet industriel, on va au-devant d’événements graves. D’abord, sur le plan économique. Les voitures ne se vendent plus. Les appartements pas davantage. Il n’y a plus un emploi qui se crée. Ensuite, il y aura une crise sociale. Puis, on va se prendre une crise financière d’une violence rare. Et enfin, cela finira avec des troubles politiques. » Il reprend un chocolat dans la boîte toujours posée sur la table basse de son bureau. Quelques jours plus tôt, il est sorti faire le tour des commerçants du quartier. « Il était impossible de marcher, raconte un de ses proches, tout le monde l’agrippait et lui disait : “C’est grave, monsieur le président. Revenez, revenez-nous vite !” Il ne leur répondait pas non. Mais simplement : “Je n’ai pas envie.” »
Le jour de son anniversaire, Nicolas Sarkozy a reçu 8 500 cartes de voeux, sans compter d’innombrables mails. Tous disaient : « On a peur », ou bien « Ça fait peur ! » À l’un de ses visiteurs du soir qui le voyait régulièrement à l’Élysée, il confie : « Tu sais, les Français sont moins en colère qu’effrayés. Quand on pense que le sujet du moment, c’est la traçabilité du bifteck ! Tout le monde veut savoir s’il y a du cheval dans ce qu’on mange. Mais la traçabilité des enfants, qu’est ce qu’on en fait ? C’est tout de même plus important. Avec leur “mariage pour tous”, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, bientôt, ils vont se mettre à quatre pour avoir un enfant. Et le petit, plus tard, quand il demandera qui sont ses parents ? On lui répondra : “Désolé, il n’y a pas de traçabilité.” »
Apaisé. Heureux. Soulagé. Mais inquiet de ce qui se passe en France, de voir la société se décomposer, se crisper comme jamais. « Même pendant la crise de 2008-2010, qui aurait pu tout emporter, la France n’a jamais été dans cet état-là », confie-t-il. « J’ai tout mis en oeuvre pour éviter les tensions, pour faire en sorte que la France reste crédible, qu’elle ait toujours son leadership. »
C’est pour cette force de conviction, cette combativité, cette stature qu’il a conservée, notamment à l’international, que Nicolas Sarkozy est invité à discourir partout dans le monde. Il repart bientôt à New York, pour parler devant les clients de Goldman Sachs. Au mois de janvier, il a disserté, en anglais, pendant une heure et demie devant les 400 associés de cette banque. « Ils m’ont applaudi debout », dit-il, fier de cette nouvelle vie qui le comble. « Je leur ai dit dans les yeux que la vertu majeure en économie, c’est la responsabilité. Parce que s’il suffisait qu’il y ait de la liberté pour que tout fonctionne bien, on se demande alors pourquoi la finance est devenue folle. Non seulement ils étaient heureux, mais ils m’ont écrit pour me dire que cela avait été le moment le plus important de leur année. »
Entre deux voyages, son agenda est plein de rendez-vous. Le 77, rue de Miromesnil est une fourmilière où Nicolas Bazire, directeur général de Groupe Arnault croise Sébastien Loeb, champion du monde des rallyes. Où le paléontologue Yves Coppens peut se retrouver, dans le couloir, face à Pierre Blayau, patron du fret à la SNCF, qui reconnaît avoir voté Hollande. Où Thierry Breton, actuellement président du groupe Atos, salue Henri Loyrette, le futur ex-président-directeur du musée du Louvre. « Il reçoit tous ceux qui souhaitent le voir, à la seule condition qu’ils ne l’aient pas insulté. »Lors du match PSG-OM, il a vu avec étonnement l’acteur et humoriste Jamel Debbouze venir le saluer de façon amicale quelques mois après l’avoir traité de « Joe Dalton qui voulait tout kärchériser » pendant la campagne électorale. Il reçoit des sportifs, des représentants d’organisations internationales, des écrivains. Jean d’Ormesson est un habitué des lieux. « Je lui ai dit qu’il n’était pas normal qu’un artiste aussi important que Pierre Soulages ne soit pas à l’Académie. De la même manière qu’un philosophe comme Alain Finkielkraut », avoue l’intéressé.
C’est une vie qui lui plaît intensément. Une vie qui rassure Carla Bruni, son épouse. Une vie qui lui permet de voir grandir sa fille Giulia. Reste la France, bien sûr. La politique, non. Mais la France, Oui. Peut-être, un jour ! « Que ce soit clair, explique-t-il, je n’ai pas envie d’avoir affaire au monde politique qui me procure un ennui mortel. Et puis, regardez comment j’ai été traité ! Lorsqu’on m’a convoqué pour treize heures d’interrogatoire, à propos de l’affaire Bettencourt. Tout cela, pour quoi ? Lorsque trois juges sont chargés d’enquêter sur mon soi-disant rôle dans l’affaire de Karachi. Un dossier où ma seule contribution a été de dire à Édouard Balladur, à propos de ce fameux contrat pakistanais : “Ne le signez pas !” Mais vous croyez vraiment que j’ai envie ? Sans compter la manière dont ils ont traité ma femme. Interdite de chanter pendant cinq ans. »
La réponse est cinglante. L’interlocuteur est presque assommé. Il lui reste encore une possibilité de tenter sa chance : « Envie de prendre votre revanche ? » Et là il se lève du canapé : « Mais quelle revanche ? Tu plaisantes ? La revanche, d’abord, c’est un très mauvais sentiment. Cela n’a jamais rendu heureux personne. Et puis, quelle revanche ce serait ? Pour reprendre la France dans l’état où les socialistes la laisseront. Tu crois que je ne sais pas que je vais mourir ? Donc franchement est-ce que j’ai envie de revenir ? Non. »
L’homme Nicolas Sarkozy, qui fait de la politique depuis plus de trente-cinq ans, aspire à la sérénité, à la tranquillité, à la vie de famille, au bonheur de son couple, mais aussi à parfaire sa vision du monde, à rencontrer des personnalités de toutes sortes et à voyager, partout où on l’invite à discourir. À condition de conserver toute sa liberté. Car jamais, reconnaît-il, il n’a été aussi libre. Sa vraie revanche, elle est plus dans sa capacité de montrer qu’il sait faire autre chose, qu’il est capable d’avoir une autre vie, que dans la domination de son camp ou dans une quelconque victoire électorale.
Mais lui-même en convient : « Il y aura malheureusement un moment où la question ne sera plus : “Avez-vous envie ? ” mais “Aurez vous le choix ? ” Ce ne sera pas le moment le plus glorieux pour la France. Il s’agira d’un moment où le pays sera tenaillé entre la poussée de l’extrémisme de gauche et celui de droite. Au Parc des Princes. Nicolas Sarkozy sait qu’à l’instar du sport, il y a toujours un moment où vient l’heure du retour. Parce que François Hollande n’aura pas tenu compte de toute cette France des invisibles et des oubliés. Et puis, il s’agira d’un moment où la droite n’offrira aucune solution de recours. Pas plus que la gauche. Dans ce cas, je ne pourrai pas continuer à me dire : “Je suis heureux, j’emmène ma fille à l’école et je fais des conférences partout dans le monde.” Dans ce cas, effectivement, je serai obligé d’y aller. Pas par envie. Par devoir. Uniquement parce qu’il s’agit de la France. »
Tous ses visiteurs entendent ce même refrain : « Le moment où je l’aurai décidé, je le dirai aux Français. Je prendrai la parole. Mais librement, sans calcul. Une chose est certaine : le chemin de ce retour ne passe pas par la politique. La politique, c’est fini. En revanche, il passe par une crédibilité internationale incontestée. Il est donc très important que je continue à voyager. Il passe aussi par une crédibilité économique, car les Français ont soif de cela. Et il faut s’attendre à me voir prendre des initiatives économiques fortes. » Lesquelles : mystère. Même ses plus proches l’ignorent encore.
Le visiteur suivant attend dans le couloir entre des grands portraits de Nicolas Sarkozy et de Carla Bruni dessinés à la manière de Vasarely. Tous ceux qui l’ont rencontré récemment repartent avec la même impression : l’homme est à la fois apaisé et serein, mais aussi énergique et décidé. À la fois calme (la voix basse en témoigne) et rongé par l’état de la France et les appels au secours.
À la fois accablé par ce que les dirigeants de la droite ont fait ou n’ont pas fait et par l’échec désormais patent de la politique économique de la gauche. À la fois enthousiasmé par tout ce qu’il vit et voit à travers le monde et révolté par l’affaissement du pays sur la scène internationale. Une chose est certaine : en ce lendemain de confrontation entre le PSG et l’OM, Nicolas Sarkozy sait qu’à l’instar du sport, il y a toujours un moment où vient l’heure du retour. Mais cette fois-ci, c’est décidé. Ce sera un retour sans match. Il sera un recours. Le seul recours.

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