TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

samedi 23 mars 2013

Abus de faiblesse, le véritable scandale : qui se préoccupe des dizaines de milliers de cas de curatelles aux conséquences bien plus glauques que celles subies par Liliane Bettencourt ?

 Alors que l’affaire Sarkozy-Bettencourt revient sur le devant de la scène, la question des régimes tutélaires reste définitivement absente du débat public malgré les nombreux scandales humains et financiers qu’elle engendre. En France, près de 700 000 personnes, soit 1% de la population français est jugée "incapable" et ne sont administrées que par un peu plus de 80 juges (sources : Les chiffres clés de la Justice 2009 et le rapport n° 3557 du député Emile Blessig pour la réforme de la protection des majeurs). Comment expliquer qu’un tel phénomène soit aussi peu relayé ? La France se soucie-t-elle vraiment de l’État de ses "incapables" c’est à dire essentiellement des personnes âgées ?

Franck Hagenbucher-Sacripanti : Avant tout, il est important de comprendre que mon combat est essentiellement centré sur la mise sous tutelle "professionnelle" c’est-à-dire le fait qu’une personne soit supposément mise sous protection d’une tuteur ou d’une curateur professionnel. La question des tutelles ou des curatelles familiale est tout autre. Ainsi, il est important de comprendre que cette problématique des régimes tutélaires est empreinte d’une ambiance d’amoralité grave pour de nombreuses raisons. D’abord, il y a une telle masse d’argent qui entoure ce système et qui m’a amené au cours de mon combat à demander une inspection générale des services des tutelles afin de clarifier tout cela. Malheureusement, bien que le manque de moyen, avéré, de la justice pour gérer cette question soit toujours agité comme la seule raison de cette inaction, il y a surtout une sorte de mensonge général sur le système. Derrière, celui-ci se cache une maltraitance institutionnelle qui vient des institutions tutélaires professionnelles qui sont consubstantielles avec l’État.
La question du désintérêt français pour les personnes âgées est une question très vaste et très profonde. Avant de rentrer pour m’occuper du drame tutélaire que vivait ma mère, j’ai passé l’essentiel de ma carrière d’anthropologue en Afrique et lors de l’un de mes passages en France, le film Ridicule était sur toutes les lèvres et je suis allé le voir. L’une des scènes cultes de ce film présente un vieillard paralysé dans un salon du château de Versailles sur lequel pisse consciencieusement un quadra poudré. Je n’ai personnellement pas supporté le film et lorsqu’un jour en rentrant du Congo, c’était le film diffusé dans l’avion j’ai littéralement entendu les Africains crier tant ils étaient choqués par cette scène de non-respect d’un ancien, d’une personne âgée. Le discours est long mais il nous montre bien à quel point  nous avons une sensibilité indifférente voire hostile au grand âge, et cela sur  tous les plans, esthétique, artistique, psychologique, affectif et autres. Je ne parle pas de la totalité de la France mais de sa majorité. Nous, Occidentaux, avons développé un rapport malsain à cette partie de la famille, nous avons développé une maltraitance tranquille des personnes âgées. Dans la cas de ma mère, et ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres, je vous parle de choses indicibles, d’yeux crevés, d’épaules fracassées pour lesquels la justice avait ni plus ni moins verrouillait le système de preuves.
Qui sont ceux qui ont le pouvoir de retirer ainsi des libertés et sur quels motifs ?
Xavier de la Chaise : Cela concerne la dépendance de la personne, et le fait qu'elle ne puisse plus s'assumer elle-même. Cette décision peut émaner de la famille (le cas le plus fréquent), mais également d'un médecin qui peut faire un signalement au procureur, qui saisit par la suite le juge des tutelles, après une expertise médicale qui justifie l'ouverture de la mesure de protection. Cette expertise vient confirmer le besoin d'assistance ou non, mais également le niveau d'incapacité de la personne (de la simple assistance renforcée à la franche représentation). Le juge prononce ensuite la mesure d'assistance qui se justifie.La personne désignée est par priorité le conjoint, puis la famille, les proches susceptibles de remplir la fonction et dans le dernier cas un tuteur ou un curateur extérieur. 
Il y a trois types de profils de mise sous tutelle : les personnes ayant été victimes d'un accident ponctuel. La seconde catégorie regroupe les gens qui souffrent de pathologies psychiatriques ou qui présentent un handicap. Et la troisième catégorie est la population vieillissante, touchée par la sénilité ou l'Alzheimer. Et cela ne va pas diminuer avec le vieillissement de la population, ce qui va poser, à terme, un problème de prise en charge.

Plus de cent mille dossiers de demande de mise sous tutelle sont en cours d’examen. Est-il courant de voir des familles faire des requêtes injustifiées ? Y a-t-il des tentatives d’escroqueries ?

Xavier de la Chaise : Les tentatives d'escroquerie existent bien sûr, et dans ce cas-là c'est à l'avocat de jouer le rôle de filtre, et de voir si la procédure est justifiée ou non. Mais il y a aussi des cas dans lesquels la famille n'est pas de mauvaise foi, et pense que la demande de mise sous protection est justifiée, alors que la personne concernée ne s'estime pas relever d'une mesure de protection, ce qui provoque bien évidemment un désaccord. 
Le cas d'une famille qui réclame une mise sous tutelle alors qu'elle sait que la mise sous tutelle est injustifiée pour simplement porter préjudice n'est pas fréquent. Mais il y a bien évidemment des cas dans lesquels la demande n'est pas fondée, et dans ce cas la demande est rejetée par le juge qui l'a examinée. En réalité, il s’agit le plus souvent de divergences de point de vue plutôt que de véritables tentatives d’arnaque et l’ensemble est souvent lié à la typologie de la famille. On trouve aussi bien des gens très isolés que des familles très unies, des familles qui se tapent dessus et d’autres sans patrimoine dans lesquelles on gère la pauvreté plutôt que la richesse. Vous ne retrouverez donc pas le même risque de fraude selon les cas et en fonction de l’amour au sein de la famille. Les cas les plus complexes sont toujours ceux des familles en guerre. Quand tout le monde ne vit pas dans la même région et donc que certains sont favorisés, ou encore lorsque tout le monde travaille et qu’un petit canard boiteux est resté chez ses parents et donc demande la mise sous tutelle alors que les autres ne veulent pas. Enfin le cas classique, celui qui refait sa vie avec une jeunette et qui utilise le patrimoine à son bénéfice. Et souvent la famille veut protéger de manière légitime donc il n’y a pas nécessairement des fraudes mais bien souvent des oppositions de point de vue.
Existe-t-il concrètement une sorte de business de la mise sous tutelle ?
Franck Hagenbucher-Sacripanti : Il ne s’agit pas d’un trafic mais d’un fonctionnement social, sociétal et sociologique qui fonctionne autour de synergies tranquilles entre la justice, le pouvoir médical, les affaires sociales, les banques les assurances et ainsi jusqu’aux vides-greniers. Il y a donc une récupération très importante de la condition des personnes âgées.
Xavier de la Chaise : Du point de vue des avocats, je ne pense pas. L'avocat, de toute façon, ne fait que présenter une demande au juge, avant une expertise médicale et une enquête. Chaque cas est distinct.

Quelle sont les arnaques les plus courantes liées à des mises sous tutelles ou sous curatelles qu’elles soient prises en charge par des organismes ou par des proches ?

Xavier de la Chaise : L’un des travers les plus fréquents sont les réalisations immobilières,c’est à dire la vente du patrimoine, la modification des placements financiers ou, s’il s’agit de proches, la tentation de réduire à l’extrême le niveau de vie de la personne sous tutelle ou curatelle pour conserver le patrimoine. Les francs détournements de fonds sont plus rares puisqu’il s’agit d’infractions directes à la loi qui n’ont de sens que dans les cas de patrimoines très importants.
Franck Hagenbucher-Sacripanti : Du côté des curateurs et des tuteurs institutionnels, le plus grand des scandales est sans aucun doute la façon dont ils établissent des contrats d’assurance-vie placement avec l’argent du "protégé" et dont la clause bénéficiaire ne revient évidemment pas aux personnes qui auraient été choisies par ce dernier.
Ces tuteurs ou curateurs professionnels vont parfois encore plus loin en magouillant au cours des transactions qu’ils effectuent avec les biens de ceux dont ils ont la charge. J’en veux pour preuve ma mère qui avait alors 92 ans, qui était en fauteuil roulant, victime d’Alzheimer et qu’on a traîné devant le tribunal de grande instance parce que celui qui était en charge de ses biens avait floué l’acheteur de son appartement. Elle a donc dû payer réparation à cet acheteur qui n’avait rien demandé. Bien évidemment j’ai protesté puisque deux ans après ce qui restait de l’argent de ma mère a été placé en assurance-vie sans clause bénéficiaire ce qui relève de l’escroquerie pure et simple. Alors que mes avocats m’assuraient que j’allais gagner sans le moindre doute, j’ai été débouté par le TGI de Nanterre. C’est donc la notion même de preuve qui est occultée puisque j’avais un dossier solide. Ce n’est que mon exemple bien sûr, et on pourra me traiter de conspirationniste, mais il est vrai et il démontre l’existence des synergies que j’évoquais.

En cas de mise sous tutelle, comment les proches peuvent-ils s'assurer du bien-fondé de la décision du juge ? Est-il possible d'annuler une mise sous tutelle ? 

Xavier de la Chaise : La nouvelle loi a modifié beaucoup de choses : avant, la mise sous protection était prononcée sine die, et il fallait en demander la main levée quand elle n'était plus justifiée. Aujourd'hui, la décision est limitée dans le temps et le juge doit réévaluer la situation régulièrement, tous les cinq ans maximum. Cela a quand même assaini une partie du problème. 
Il y a deux sujets à différencier : la mise sous protection et la mise en œuvre de la protection. Concernant la mise sous protection, il y a peu de fraudes, le juge étant là pour contrôler. Une fois la protection mise en œuvre, c'est plus compliqué : il est vrai que les juges sont débordés, ce sont des dossiers délicats, et donc, dans la gestion elle-même, il peut y avoir des dérives.

Il est donc possible d’intervenir au moment de la décision mais qu’en est-il lorsque celle-ci est déjà prise ? Est-il encore possible de faire machine arrière ?

Xavier de la Chaise : Si la mesure est prononcée, on peut exercer un recours devant la Cour d'appel contre cette décision. Si la famille peut présenter un élément nouveau, comme un nouveau rapport médical, on peut encore saisir le juge afin d'obtenir une décision différente. A cause de l'engorgement des juridictions tutélaires, on peut avoir un délai d'attente très long, entre trois et six mois selon les régions.
Franck Hagenbucher-Sacripanti : Ce n’est pas impossible mais c’est très difficile, c’est pourquoi je donne toujours le même conseil simple et essentiel. Créer un collectif. C’est là notre dernière miette de démocratie en France et qui nous permet de créer un collectif sans obligation financière, juridictionnelle ou autre. Ainsi, pour contacter les médias ou pour les démarches juridiques, vous ne serez plus juste vous, vous serez un organe associatif. Ces collectifs peuvent servir à un combat au niveau national mais celui-ci est extrêmement lourd. Il est plus simple de créer un collectif nominatif pour protéger la dignité de telle ou telle personne. Le plus dur consiste surtout à trouver un avocat digne de ce nom motivé par la question, ce qui est rare.

0 commentaires: